Pierre angulaire du projet d’agro-écologie, le biocontrôle devrait permettre à terme une diminution de l’usage
des pesticides de synthèse. Mais quels sont sa réalité, ses atouts,
ses faiblesses, et surtout, ses perspectives ? Quatorze « sages » de l’Académie d’Agriculture de France tentent de répondre à ces questions dans un rapport intitulé « Biocontrôle en Protection des Cultures ». La lecture de ce texte engendre des impressions contrastées.
Comme
le note l’Académie, le terme même de biocontrôle couvre plusieurs
définitions. Aux États-Unis, les « biopesticides » comprennent trois
catégories de moyens : microbial pesticides (ex : les protéines insecticides de B. thuringiensis), biochemical pesticides (ex : les phéromones) et plant-incorporated protectant
(PIP). Ce dernier groupe rassemble les substances que les plantes
fabriquent à partir de leur matériel génétique, y compris celui
introduit dans leur génome, concernant de ce fait le domaine de
l’amélioration des plantes. En revanche, en Europe, le terme de
biocontrôle a été décliné en quatre catégories de moyens : les
macro-organismes (ex : insectes auxiliaires), les micro-organismes (ex :
bactérie Bacillus thuringiensis), les médiateurs chimiques
(ex : phéromones) et les substances naturelles extraites de plantes ou
produites par des micro-organismes.
En France, le Club Adalia, qui rassemble des techniciens de la protection intégrée, définit le biocontrôle de façon plus large. Pour lui, il s’agit de « l’ensemble
des méthodes de protection des végétaux qui utilisent des
mécanismes naturels. Il vise à la protection des plantes en
privilégiant l’utilisation de mécanismes et d’interactions qui
régissent les relations entre espèces dans le milieu naturel. »
L’Association française des fabricants de produits de biocontrôle
(IBMA) rejoint assez largement cette définition. Elle y ajoute
cependant « tous produits et technologies nouveaux à faible risque ».
Enfin, pour les auteurs de la Loi d’avenir, le biocontrôle inclut les
substances minérales, mais exclut la sélection variétale. Ce qui
revient à revisiter le passé en le proposant comme modèle au monde
agricole. Triste perspective...
Selon l’Académie, le champ du
biocontrôle devrait regrouper l’ensemble des méthodes de protection
des cultures ayant en commun le fait d’utiliser la capacité
régulatrice d’agents vivants. C’est-à-dire la plante cultivée
elle-même, les éléments de régulation présents dans le milieu
agricole local et l’usage d’agents vivants ou issus du vivant
volontairement introduits.
Il s’agit donc d’utiliser une
stratégie de protection des cultures reposant sur la mise en œuvre
successive de trois postes d’action indissociables.
Le premier
consiste à privilégier l’activité des êtres vivants qui existent
dans l’agroécosystème (ex : auxiliaires généralistes, oiseaux
insectivores...), en les encourageant au besoin par des aménagements
environnementaux. Le deuxième réside dans le choix des cultures et des
variétés qui minimisent la pression des organismes nuisibles attendus
dans le contexte de culture local. Et le dernier consiste à mettre en
œuvre des agents de lutte vivants (macro-organismes, micro-organismes,
organismes pour la lutte autocide) ou issus du vivant (médiateurs
chimiques, éliciteurs et substances naturelles).
Cette priorité
accordée aux moyens de protection vivants ou issus du vivant conduit à
exclure du champ du biocontrôle les substances minérales (cuivre,
soufre, chaux, acides minéraux...), les produits de synthèse ou les
moyens physiques de régulation des organismes nuisibles (labour,
sarclage, taille, brûlage...). Ces différents moyens restent
parfaitement utilisables dans un système de protection intégrée. Bien
que pouvant être un sujet de controverse, l’Académie assume
pleinement ce parti pris.
État des lieux et perspectives
« Pour l’instant, la place du biocontrôle dans la protection des plantes reste encore modeste »,
souligne l’Académie. On utilise principalement des macro-organismes
performants contre les acariens phytophages de la vigne et la pyrale du
maïs, des insectes auxiliaires pour lutter contre des ravageurs
invasifs en plein air ou les ravageurs des cultures sous abris
(aleurodes, thrips, acariens...). Que ce soit le célèbre Bacillus
thuringiensis, observé depuis 1901, ou encore différents champignons
pathogènes d’insectes ou antagonistes de maladies des plantes, connus
également depuis plus d’un siècle, toutes ces solutions n’occupent
toujours qu’une place marginale sur le marché.
En revanche,
l’emploi de médiateurs chimiques tels que les phéromones d’insectes
fait partie des quelques belles réussites. Comble de l’ironie, celles
qui sont largement utilisées pour la viticulture ou l’arboriculture,
conventionnelle comme biologique, sont
toutes obtenues...par synthèse, sans que quiconque n’ait émis de réserve à leur sujet.
toutes obtenues...par synthèse, sans que quiconque n’ait émis de réserve à leur sujet.
« Il serait utile de réhabiliter dans différents domaines une balance bénéfices-risques transparente », estiment les sages de l’Académie d’Agriculture.
Mais c’est à peu près tout. Pour de
très grands problèmes comme le mildiou, l’oïdium, la flavescence de
la vigne, le taupin, la chrysomèle et la fusariose, ou encore les
nombreux ravageurs aériens du colza, le biocontrôle n’apporte aucune
protection efficace. Pas plus d’ailleurs que pour le contrôle des
adventices.
Le futur succès du biocontrôle passe donc
nécessairement par la recherche, qui demeure un exercice très délicat
en raison de la durée inhabituellement longue des études et d’un
énorme pourcentage de déchets entre des solutions apparemment
prometteuses au laboratoire, et celles qui se révèlent convaincantes
dans la pratique agricole. L’exemple des substances élicitrices en est
l’illustration la plus parfaite. Si une longue liste de substances
extraites de plantes a montré en serre une certaine capacité à
stimuler les défenses naturelles de végétaux cultivés, aucune ou
presque n’a confirmé cette possibilité au champ. Aujourd’hui, les
seuls éliciteurs qui concurrencent les fongicides pour protéger des
cultures sont... des substances de synthèse : fosétyl-Al ou
acibenzolar-S-méthyl ! Le paradoxe étant qu’en raison de cette « tare
originelle », ces composés sont radicalement écartés des mesures
incitatives promues par les autorités en faveur du biocontrôle.
Enfin,
le rapport de l’Académie met en garde contre les inconvénients du
biocontrôle, notamment les phénomènes de résistance connus suite à
l’emploi exclusif ou trop intensif du pyrèthre ou des mêmes souches de
Bt ou de baculovirus, entraînant un effondrement de leur efficacité
sur les par- celles concernées. « L’introduction irréfléchie de certains insectes présentés comme des auxiliaires a même été un véritable échec », poursuivent les auteurs. Ils rappellent qu’« en
raison de dommages imprévus occasionnés sur des espèces vivantes
non-cibles, certains d’entre eux ont vu leur statut évoluer abruptement
vers la catégorie ”nuisibles” »
Et les agriculteurs dans tout ça ?
Les
pratiques agricoles d’une large partie des exploitants devraient
pouvoir intégrer sans difficulté les méthodes de biocontrôle telles
qu’elles sont définies par l’Académie d’Agriculture. Notamment
l’aménagement paysager (bandes enherbées composites, haies, bords de
rivière entretenus...), qui est déjà largement entré dans les mœurs.
Optimiser la régulation du parasitisme par leur intermédiaire sera
donc facile à promouvoir à chaque fois que la recherche sera capable
de pointer les variantes les plus favorables de ces aménagements.
En
outre, le développement du biocontrôle est clairement dynamisé par
une recherche créative stimulée par de nombreux nouveaux acteurs et
par les récents investissements des grands leaders de l’industrie. Il
existe également un relatif consensus sur le bénéfice environnemental
global de ces solutions, qui n’exclut pas la nécessaire vérification
des caractéristiques supposées favorables.
Dans son rapport,
l’Académie a pointé une enquête d’opinion montrant qu’il existe un
courant globalement favorable aux solutions issues du biocontrôle dans
l’ensemble du monde agricole. Cette dynamique positive est néanmoins
contrebalancée par deux éléments : d’une part, les réserves
exprimées par des utilisateurs qui recherchent les preuves de la valeur
de ces solutions avant de les introduire dans leur système de culture
(il faut dire que dans ce domaine, les surpromesses ont été légion
ces dernières années ! ) ; et d’autre part, les interrogations des
agriculteurs concernant les coûts ou les surcoûts correspondants.
Sortir de l’enfumage pour avancer plus vite
En conclusion de leur étude, les académiciens n’estiment guère possible de progresser sans passer, ad minima,
par trois étapes incontournables. La première serait l’affirmation du
caractère indispensable de la protection des cultures. Dans ce
domaine, le négationnisme ou la minimisation systématique des pertes
liées aux bioagresseurs sous des prétextes divers sont autant de
freins au progrès. La deuxième étape est un plaidoyer en faveur d’un
retour à des bases objectives de l’évaluation des dangers pour
l’ensemble de la pharmacopée. Une approche cohérente de la protection
des cultures ne peut reposer sur le discours manichéen qui laisse
accroire que les produits de synthèse sont plus dangereux que les
solutions dites naturelles. Une approche plus transparente de ces
questions et une politique publique davantage appuyée sur des bases
scientifiques seraient les bienvenues. En troisième lieu, à une
époque où certains produits de biocontrôle bénéficient de grands
efforts administratifs pour privilégier leur utilisation, le rapport
souligne qu’« il serait utile de réhabiliter dans différents
domaines une balance bénéfices-risques transparente, accessible à la
fois aux filières, aux scientifiques, aux industriels, aux citoyens et
aux médias en recherche d’information authentique ». Vaste programme... Mais l’agriculture française a-t-elle vraiment le choix ?
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