Publié le 24/11/2014
Une utilisation excessive de produits phytosanitaires de produits
chimiques, prédominance de la semence hybride, non-respect de procédures
et des délais dans l’utilisation des produits phytosanitaires, le
secteur agricole ne brille pas uniquement par son apport dans le PIB et
ses indicateurs en progression ces dernières années.
Si les rendements agricoles sont au rendez-vous, comme l’assure le
ministère de l’Agriculture, les moyens d’y parvenir sont eux mis à
l’index par les experts du secteur. Certains parlent même de la présence
d’OGM (organismes génétiquement modifiés) dans nos assiettes sans que
nous le sachions, même si personne ne peut le prouver faute de contrôle.
Le rapport 2012 sur la politique agricole et agroalimentaire
euro-méditerranéenne de l’ IPEMED (Institut de prospectives économiques
du monde méditerranéen) montre que de 2000 à 2010, le ratio entre le
solde extérieur de la balance agricole et alimentaire de l’Algérie et
son PIB a reculé de 5% à 4,4%. Certes, les importations en la matière
sont plus importantes que les exportations, mais la situation tend à
«s’améliorer».
L’Algérie détient néanmoins le 3e ratio le plus élevé en Méditerranée.
Un indicateur qui, précise-t-on, est une mesure de «l’insécurité
alimentaire». Vu sous cet angle, le degré d’insécurité est assez élevé
en Algérie, quand on sait que la moyenne de ce ratio est de l’ordre de
1,6% pour toute la région sud-méditerranéenne. Car l’Algérie n’importe
pas uniquement des produits alimentaires finis, elle importe également
«pratiquement toute la semence pour ses légumes (cultures maraîchères»,
observe Karim Rahal, professeur d’agro-élevage à l’université de Blida
et membre du collectif agro-écologie Torba. Selon lui, «80% des semences
locales ont disparu».
L’agriculteur algérien ne produit plus de graine car, dit-il, «pour lui
c’est du travail en plus. Il doit attendre la montée en graine, et puis
il faut savoir les produire». Comme pour les autres secteurs, le
secteur agricole est donc devenu lui aussi tributaire des importations
«et on ne peut même pas songer raisonnablement à inverser la tendance
dans le court terme. A peine peut-on essayer de sauver ce qui reste»,
dit l’expert.
La tâche, déjà compliquée, pourrait presque s’avérer vitale. Car dans
ce que l’Algérie importe, il n’y a pas que de l’écologiquement correct.
Zoubir Haddou, membre de l’Institut technique des cultures maraîchères
et industrielles (ITCMI), nous dit que «plus de 60% ou 70% des semences
importées sont hybrides. Les agriculteurs se sont habitués à cela».
Certes, hybrides ne veut pas dire OGM. Il s’agit plutôt de variétés de
graines «obtenues par le croisement de deux variétés de semence». A
priori, pas de quoi s’inquiéter donc, et pourtant !
Le problème avec ces semences, c’est que «vous ne pouvez vous en servir
qu’une seule fois. L’agriculteur doit donc acheter de nouvelles
semences chaque année, car s’il ressemait les graines récoltées, il
aurait des rendements très faibles. Le semencier qui vous fournit fait
donc en sorte que vous restiez dépendant de lui, sans compter l’effet
négatif sur la santé publique», explique Karim Rahal. Par ailleurs, ces
semences sont vendues à l’échelle mondiale, ce qui a pour effet de
limiter «la diversité biologique» des produits.
Dépendance
Du côté des importateurs de ces semences en Algérie, on ne nie pas
l’évidence. «Il y a aura sûrement des inconvénients sur le plan de la
santé, car il y a des dizaines de traitements chimiques administrés
durant le cycle de culture, comme des insecticides, des fongicides (qui
éliminent les champignons), ainsi que les engrais chimiques car il y a
peu d’organique», explique Mourad Messaoudi, superviseur commercial de
la société Topsem, importateur et distributeur de semences maraîchères,
représentant de la firme française Graines Voltz.
Une étude de l’Ipemed (Les dynamiques des ressources agricoles en
Méditerranée 2010) avait déjà noté qu’«en raison des pressions sur l’eau
et le foncier, plusieurs pays de la région méditerranéenne se sont
orientés vers l’extension de l’usage des engrais afin d’améliorer les
rendements». Selon la Banque mondiale (2009), l’utilisation des engrais
agricoles a effectivement augmenté ces dernières années, mais moins
comparé à d’autres pays voisins.
Mais le problème réside surtout dans le fait que les «agriculteurs ne
respectent pas les doses et les délais relatifs à l’utilisation des
produits phytosanitaires», précise Mourad Messaoudi. Pour le reste,
l’utilisation des graines hybrides se justifient par leur apport sur le
terrain. Elles sont obtenues «à partir du croisement de variétés qui
présentent les caractéristiques génétiques les plus stables (en termes
de goût, de couleur, etc)».
Le spectre OGM
En somme, on prend le meilleur de chaque variété pour créer un produit
final le plus parfait possible avec des rendements plus élevés que dans
le cas de semences standard. «Il n’y a pas de modification de la
génétique, il ne s’agit donc pas d’OGM», tient-on à préciser. Et
d’ailleurs, «dans le maraîcher, je ne pense pas qu’il existe des OGM
chez nous, mais dans le maïs et le soja peut-être», indique Mohamed
Reguieg, responsable du service développement au sein de Topsem.
Un avis partagé par Zoubir Haddou qui précise, qu’«il n’y a aucun
organisme de contrôle qui peut permettre de dire avec certitude si oui
ou non il y a des OGM qui rentrent en Algérie et si oui, quelle est leur
proportion». De plus, l’Algérie «n’a formé personne qui soit capable au
niveau du port de tester les semences qui sont importées».
Le représentant de l’Itcmi souligne par ailleurs que «nous importons du
soja d’Argentine et des semences du Brésil, alors que ce sont parmi les
premiers pays dans le monde à produire des OGM. Le maïs que nous
utilisons comme aliment de bétail contient de l’OGM. Il y a donc des
semences OGM qui rentrent en Algérie et il n’y a pas de contrôle.»
Toutefois, tempère Karim Rahal, à travers le monde, les OGM ne
concernent pas toutes les semences. «Pour l’heure, les multinationales
produisent des OGM dans le maïs, le soja et certaines légumes, mais
d’ici 10 ans cela pourrait concerner tous les légumes et nous serons
tributaires d’eux».
Officiellement, l’importation d’OGM en Algérie est interdite par un
arrêté du ministère de l’Agriculture datant de 2000 et une loi serait en
préparation actuellement. En 2012, un atelier international sur la
détection des OGM dans les pays de la région MENA (organisé par la
Commission Européenne), concluait que «le risque d’utilisation des
matières ou produits dérivés d’OGM n’est pas exclu en Algérie» compte
tenu de «l’ouverture du marché, de l’importance des importations et la
défaillance du contrôle».
Safia Berkouk