Pour mieux comprendre les comportements
des abeilles, le Csiro, l'organisme gouvernemental australien pour la
recherche scientifique, a fait attacher, début 2014, des puces RFID sur
le dos de 5.000 abeilles de la région d'Hobart, en Tasmanie. - Photo Csiro
Depuis
plusieurs décennies, en France et en Europe, et plus récemment aux
Etats-Unis, on assiste à une inquiétante augmentation de la mortalité
des abeilles. A terme, une centaine de millions de ruches d'élevage sont
menacées dans le monde, soit quelque 4.000 milliards d'abeilles. Demain
et après-demain, près de deux cents spécialistes vont plancher sur le
sujet, à Paris dans le cadre des 3es Journées de la recherche
apicole, organisées par l'Institut de l'abeille (Itsap - Institut
technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation). Des
chercheurs de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de
l'alimentation, de l'environnement et du travail), du Cetiom (Centre
technique interprofessionnel des oléagineux et du chanvre), du CNRS, de
l'Inra (Institut national de la recherche agronomique) et des
universitaires exposeront leurs travaux.
« En France, la mortalité hivernale des colonies d'abeilles atteint
désormais de 20 à 30 %, alors que, pour être rentable, une exploitation
apicole ne devrait pas voir plus de 10 % de ses colonies disparaître sur
toute une année », constate Yves Le Conte, directeur de l'unité de
recherche abeilles et environnement à l'Inra d'Avignon. La disparition
des abeilles serait bien sûr une catastrophe. D'abord pour les
apiculteurs. « En France, il y a entre 1 et 1,5 million de ruches
déclarées ; 40.000 apiculteurs en détiennent au moins une et 3.000
d'entre eux vivent vraiment de cette activité, explique Jean-Yves Foignet, apiculteur et président de l'Institut de l'abeille. Le chiffre d'affaires de l'apiculture est évalué à 133 millions d'euros dans notre pays. » Surtout, les abeilles sont irremplaçables dans la nature. « Elles pollinisent 85 % des cultures qui constituent de la nourriture pour les humains », avertit Yves Le Conte.
Des menaces qui se combinent
Les
recherches se sont donc multipliées au niveau mondial pour tenter de
comprendre les causes de leur surmortalité. Depuis 2008, il existe même
un réseau international de spécialistes, Coloss (« Colony loss »), qui
compte 458 membres, issus de 70 pays. « La plupart des
scientifiques admettent aujourd'hui que l'effondrement des colonies
d'abeilles est dû à un faisceau de facteurs : il n'y a pas une seule
cause, mais des menaces qui se combinent », résume Adam Vanbergen, du CEH (Centre for Ecology & Hydrology), un organisme de recherche britannique indépendant.
Les
nouvelles technologies ont bien sûr été mises à contribution pour mieux
comprendre l'écosystème complexe que constitue chaque ruche. « Une
ruche, ce sont 40.000 abeilles qui butinent dans un rayon de trois
kilomètres, ce qui représente une surface de 2.826 hectares », énumère Jean-Yves Foignet. En une journée, 28 millions de fleurs sont visitées, à raison de 700 par abeille !
Pour
mieux comprendre ces déplacements et en dresser une carte en 3D, Paulo
de Souza, du Csiro (Commonwealth Scientific and Industrial Research
Organisation), l'organisme gouvernemental australien pour la recherche
scientifique, a fait attacher, début 2014, des puces RFID de 2,5 mm sur
2,5 mm sur le dos de 5.000 abeilles de la région d'Hobart, en Tasmanie,
où le syndrome d'effondrement des colonies n'est pas encore apparu. En
Allemagne et en France, des puces RFID avaient déjà été utilisées pour
évaluer l'effet des pesticides. « En collaboration avec l'Acta, le
réseau des instituts techniques agricoles, les chercheurs de l'Inra ont
collé des puces RFID sur des abeilles butineuses, puis nous leur avons
donné une quantité sublétale de thiaméthoxame, un néonicotinoïde, une
classe d'insecticides agissant sur le système nerveux central des
insectes, relate Yves Le Conte. Une bonne partie de ces
ouvrières n'arrivaient pas à retrouver le chemin de la ruche. Nous avons
démontré que cela aboutissait à un effondrement de la colonie. » A
l'avenir, les doses sublétales devraient être mieux prises en compte
par les procédures d'homologation des pesticides définies par l'OCDE.
Pour
étudier les effets d'un champignon pathogène, le nosema, Didier
Crauser, de l'Inra, a mis au point un compteur : une caméra couleur
filme en continu la planche d'envol de la ruche. On peut alors calculer
l'activité journalière de la colonie (nombre d'abeilles sorties et
rentrées) et une estimation de la mortalité (perte d'abeilles). En
comparant deux cohortes (l'une saine, l'autre atteinte par le
champignon), on a pu étudier les conséquences du nosema sur la vie des
abeilles.
Une alerte sur les smartphones des professionnels
Mais
les nouvelles technologies seront aussi de plus en plus au service des
apiculteurs. Les capteurs commercialisés depuis un an par la société
britannique Arnia émettent une alerte sur les smartphones des
professionnels lorsqu'il est temps de récolter le miel ou lorsqu'une
ruche a été renversée, par le vent ou des vandales. En France,
l'entreprise 4Planet, de Saint-Quentin (Aisne), veut mettre au point des
systèmes similaires pour les citadins, les entreprises et les
collectivités locales qui installent des ruches en ville, sur des toits
ou des terrasses. L'apiculteur en charge de plusieurs de ces ruches
pourra plus facilement organiser ses tournées.
Aux
Etats-Unis, près de Seattle, Will McHugh et son entreprise Eltopia
espèrent proposer d'ici à fin 2015 un système anti-varroa, un acarien
qui parasite les abeilles. « Nous testons un cadre électronique, mais biodégradable, qui détecte le cycle de vie des abeilles et des parasites, explique Will McHugh. Cette
solution interagit ensuite avec la colonie pour appliquer une chaleur
ciblée qui stérilise les parasites sans menacer les abeilles - et sans
pesticides. »
Autre piste de recherche : écouter les ruches pour évaluer leur cycle de vie et leur santé. « Le
bruit général d'une ruche donne une estimation de la taille de la
colonie, mais l'on peut aussi isoler le bruit des abeilles qui volent,
ce qui permet d'estimer leur activité ; enfin, si l'on entend les
abeilles agiter leurs ailes à toute vitesse, cela peut signifier
qu'elles ventilent leur ruche, qu'elles produisent du nectar, ou
qu'elles sont dans une situation de détresse », affirme George
Clouston, de la société Arnia, qui explore la voie acoustique. L'Inra,
en association avec l'université de Nottingham Trent, s'intéresse aux
vibrations en plaçant des accéléromètres à l'intérieur des ruches.
L'homme n'aura jamais porté autant d'attention aux abeilles, dont il
apprécie le miel depuis la préhistoire.
Jacques Henno
Source: http://www.lesechos.fr/