Mardi 03/02/2015
Selon un
rapport de Greenpeace, la technique du «Smart Breeding» constitue une
alternative intéressante aux organismes génétiquement modifiés pour concevoir
des variétés agricoles innovantes.
Comment donner naissance à une fraise plus sucrée ou à un riz
plus productif? L’approche traditionnelle, utilisée par les agriculteurs depuis
des milliers d’années, consiste à croiser entre eux un grand nombre de plants
et à garder, génération après génération, ceux qui possèdent les
caractéristiques recherchées. Cela fonctionne bien, mais prend des années.
Le Smart Breeding, aussi appelé «sélection assistée par marqueurs»
(SAM) utilise la biotechnologie pour accélérer le processus. Cette technique
agronomique en plein développement pourrait constituer une alternative aux
organismes génétiquement modifiés (OGM), d’après un rapport récent
intitulé Smart Breeding: la prochaine génération , publié
par Greenpeace.
L’organisation de protection de la nature aimerait mieux faire
connaître cette technique peu médiatisée. «Il y a 10 ans, elle en était
encore à ses balbutiements, mais aujourd’hui elle est largement utilisée»,
affirme Janet Cotter, de l’Université britannique d’Exeter, qui a édité le
rapport. Ce dernier recense quelque 136 variétés agricoles commerciales mises
au point par SAM dans des laboratoires publics. Les grands semenciers privés
ont également investi dans cette technologie. «Elle fait partie des standards
de la sélection agricole du XXIe siècle et nous nous devons de la
maîtriser», estime Toon Musschoot, de la communication de chez Syngenta
Benelux. La SAM a d’ores et déjà été appliquée à de nombreuses cultures, qu’il
s’agisse de céréales (riz, blé, etc.) ou de fruits et légumes (brocoli,
poivrons, tomates, etc.).
Mais de quoi s’agit-il exactement? Dans la sélection classique,
l’agronome observe en champs les caractéristiques des plantes – par exemple, la
taille de la tige – et croise celles qui correspondent le mieux à ses attentes.
Il lui faut ensuite attendre que les plantules issues de ces croisements
poussent, afin de déterminer lesquelles ont reçu les traits attendus. Avec la
SAM, pas besoin d’attendre que les plantules grandissent, on recherche
directement dans leur génome des «marqueurs», c’est-à-dire des séquences d’ADN
correspondant à des gènes (ou des groupes de gènes) d’intérêt agronomique.
Pour Greenpeace, l’intérêt majeur de cette technologie est
qu’elle n’intervient pas directement sur le génome, comme c’est le cas avec les
organismes génétiquement modifiés. «L’ADN de la plante n’est pas altéré et
aucun gène venu de l’extérieur n’y est introduit durant le processus de
sélection. Le Smart Breeding soulève moins de problèmes de sécurité
que les OGM», juge ainsi le rapport, qui souligne que cette technologie est
compatible avec l’agriculture biologique.
Autre aspect mis en avant par l’organisation environnementale,
le Smart Breeding serait particulièrement efficace pour sélectionner
des traits complexes, c’est-à-dire faisant intervenir plusieurs gènes, comme
c’est souvent le cas pour les résistances aux pathogènes. «Avec les OGM, il
faut insérer les gènes d’intérêt les uns après les autres par ingénierie
génétique, alors que dans le Smart Breeding, on peut sélectionner
plusieurs gènes en même temps», relève Janet Cotter.
Les deux tiers des variétés recensées dans le rapport de
Greenpeace ont été sélectionnées pour leur résistance à une maladie. Parmi les
nombreux exemples cités figure un riz résistant au pathogène Xanthomonas
oryzae, une des principales menaces en riziculture inondée, qui a été mis
au point en Chine. De son côté, Syngenta a été
l’année dernière sous le feu des critiques pour avoir breveté une
variété de poivron résistant aux insectes, obtenue par SAM en croisant un
poivron commercial et une variété sauvage issue de Jamaïque. D’autres traits
complexes, telle la résistance à la sécheresse, pourraient aussi être
sélectionnés par Smart Breeding, même si, pour l’heure, les variétés
commerciales disponibles sont peu nombreuses. «Avec les changements
climatiques, cette méthode va s’imposer et les OGM appartiendront à
l’histoire», considère Janet Cotter.
S’ils ne nient pas l’intérêt de cette technologie, certains
spécialistes de la sélection agronomique se montrent plus mesurés. «L’une des
limites de cette technologie est qu’elle est très coûteuse, car elle nécessite
des outils d’analyse sophistiqués. C’est pourquoi, nous l’utilisons uniquement
pour sélectionner des caractères difficilement observables à l’œil nu, comme
les résistances aux maladies», explique Odile Moulet, agronome à l’institut
fédéral de recherche agricole Agroscope. Dans son rapport, Greenpeace met
l’accent sur la participation des agriculteurs aux programmes de sélection.
«Mais, pour l’heure, cette technologie n’est accessible qu’aux grands instituts
de recherche, avec seulement quelques programmes pour améliorer des variétés
pour les paysans du Sud», indique le biologiste de l’Ecole polytechnique
fédérale de Zurich Hervé Vanderschuren. Lui-même développe un manioc OGM
résistant à deux virus courants en Afrique et s’agace que Greenpeace «dicte ce
qui est acceptable ou non dans la biotechnologie».
Par ailleurs, pour les scientifiques interrogés, OGM
et Smart Breeding ne devraient pas être opposés: «Ce sont deux
techniques complémentaires, l’une permettant d’apporter à la plante un gène
souhaité de manière très précise, l’autre améliorant la sélection de plusieurs
caractères», indique Odile Moulet. «Il peut être intéressant, dans certains
cas, de combiner les deux. Cela a été fait par exemple pour le coton Bt, un OGM
capable de produire des insecticides, qui a été croisé par Smart
Breeding avec des variétés locales avant d’être cultivé en Inde», relate
Hervé Vanderschuren.
Enfin, l’argument lié à la sélection de traits complexes ne serait
qu’en partie justifié. «D’une part, certains OGM combinent plusieurs gènes
d’intérêts, d’autre part, même avec le Smart Breeding, il est
difficile de faire de la sélection sur plus de 6 ou 7 gènes ou groupes de gènes
différents», affirme Odile Moulet. Cette dernière voit tout de même dans
le Smart Breeding une technique d’avenir. «Jusqu’à présent, les
cartes recensant les marqueurs d’intérêt en SAM n’existaient que pour certaines
cultures, mais elles sont de plus en plus complètes et accessibles. De plus,
cette technologie est un excellent outil pour améliorer le rendement, un
caractère crucial», indique la biologiste. Et Greenpeace de rappeler que le
coût des outils d’analyse du génome ne cesse de baisser, ce qui devrait
concourir à démocratiser encore davantage le Smart Breeding.
Origine de l'article: http://www.letemps.ch/Page/Uuid/b9601e88-aaf9-11e4-8a14-18075d406251/Innover_en_agronomie_mais_sans_OGM
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