Par
Pauline Fréour - le 23/09/2015
INTERVIEW - Jean-Pierre Cravédi, directeur de
recherche à l'Institut national de recherche agronomique, décrypte les
résultats d'une enquête conduite par Générations Futures sur la présence
de pesticides sur des salades de supermarché.
LE FIGARO.- Générations Futures, une association mobilisée contre l'usage de pesticides en agriculture, a publié hier les résultats d'analyses conduites sur 31 salades achetées
dans des supermarchés français et produites en France pour la grande
majorité, d'où il ressort que certaines présentaient des traces de
produits interdits d'usage en France et/ou en Europe. Comment peut-on
l'expliquer?
Jean-Pierre CRAVÉDI.- Je n'ai pas la
réponse à cette question, mais l'on peut envisager plusieurs scénarios.
Les traces de DDT [sur 2 salades, NDLR], un insecticide classé
probablement cancérigène par l'OMS et interdit depuis le début des
années 1970, peuvent s'expliquer par la longue durée de vie de ce
produit. Il est donc possible qu'il soit encore présent dans certains
sols, et si c'est le cas, il serait intéressant de retrouver le
producteur des salades pour l'en informer.
Le cas des quatre autres produits détectés alors
qu'ils sont interdits pour la culture de la salade en France
(cyproconazole, imidaclopride, madipropamid, oxadiazon) est différent
car la contamination a nécessairement eu lieu dans les jours ou semaines
précédant la récolte. Dès lors, deux hypothèses: soit cela résulte
d'une utilisation inappropriée de ces produits, qui restent autorisés en
France pour d'autres types de culture, par le producteur, soit il
s'agit d'une contamination accidentelle après le traitement d'un autre
champ, contenant autre chose que des salades, à proximité. Le vent a pu
dévier une partie des pulvérisations vers les salades proches.
Est-il possible de débarrasser nos salades de ces produits?
Cela
dépend des pesticides: certains restent à la surface du légume,
d'autres sont absorbés dans les vaisseaux des végétaux. Certains sont
solubles à l'eau, d'autres pas. Dans tous les cas, il est toujours utile
de laver sa salade à l'eau car cela permet d'éliminer une partie des
pesticides [en plus de certains germes, NDLR].
Quel impact cela peut-il avoir sur la santé du consommateur?
Comme
il s'agit de résidus, cela ne va pas mettre en péril la santé des
personnes qui les mangent. Il faut souligner que les résidus détectés
dans cette étude ne dépassent pas les limites maximales autorisées. Ces
LMA sont fixées en plusieurs étapes: d'abord, on évalue sur le rat ou la
souris la dose quotidienne que l'animal peut supporter sur deux ans
sans développer de pathologies. Ensuite, cette dose est divisée par 100:
une première division par 10 par précaution parce que l'on passe de la
souris à l'homme et qu'on ignore exactement ce qu'un modèle dit de
l'autre, et une deuxième fois par 10 parce que tous les hommes ne sont
égaux en termes de vulnérabilité. On déduit de cette «dose journalière
admissible» la limite de produit autorisée sur les végétaux, la LMA.
Génération
futures relève effectivement qu'aucun prélèvement ne dépasse la limite
légale autorisée mais souligne la présence conjointe de plusieurs types
de résidus sur chaque salade, ce qui expose à un possible «effet
cocktail». Cette mise en garde est-elle justifiée?
L'effet
cocktail, c'est l'idée que deux perturbateurs endocriniens, ces
substances qui peuvent bouleverser le fonctionnement de l'organisme en
mimant nos hormones, peuvent voir leur toxicité démultipliée lorsqu'ils
sont présentés conjointement. Or certains pesticides sont des
perturbateurs endocriniens. Cette synergie propre à l'effet cocktail
existe bel et bien, mais les expériences réalisées jusqu'à présent
montrent qu'elle est rare. Par ailleurs, la démultiplication de la
toxicité observé est modérée. L'autre difficulté avec les perturbateurs
endocriniens, c'est que l'on ignore lesquels ont un effet délétère. Mais
par précaution, on peut porter une attention particulière aux
populations les plus vulnérables, à savoir les jeunes enfants et les
femmes enceintes.
Source: h
ttp://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/09/23/24142-pesticides-interdits-sur-salades-plusieurs-scenarios-sont-possibles