Pour orienter leur croissance les plantes
envoient certaines protéines sur une seule face de la cellule sans
cibler les autres faces. Une équipe du laboratoire de Biogenèse
membranaire révèle que les cellules exploitent la composition singulière
en lipides d’un compartiment intracellulaire, constituant une
véritable « gare de triage », pour diriger de manière ciblée certaines
protéines vers un domaine de la surface cellulaire. Cette étude est
publiée dans la revue Nature Communications.
Contrairement aux animaux, les plantes ne peuvent
s’échapper de leur environnement et ont développé de ce fait une
plasticité d’adaptation considérable. Elles doivent constamment
chercher la meilleure exposition à la lumière ou, dans le sol, les
nutriments et l’eau nécessaires à leur survie. Cette capacité des
plantes à réorienter leur croissance vers la ressource convoitée est
connue sous le terme de « tropisme ». Il existe différents types de
tropisme, comme, par exemple, celui permettant aux tournesols de se
tourner vers la lumière, au liseron de s’enrouler autour d’un support
ou encore aux racines de s’enfoncer verticalement dans le sol. Ce
dernier tropisme permettant l’enracinement de la plante est appelé
gravitropisme. Comment les plantes arrivent-elles à prendre la bonne
direction ? En fait, les tropismes sont en très grande partie
dépendants de l’établissement de différences de concentration d’auxine,
une hormone végétale, au sein des tissus végétaux. Ces différences de
concentration régulent la croissance des cellules composant le tissu,
permettant à l’organe considéré de se courber de façon adéquate. Les
différences de concentration d’auxine sont créées grâce à l’activité de
certaines protéines transporteuses d’auxine, qui se localisent sur la
membrane d’une seule face des cellules de l’organe cible, permettant de
diriger l’hormone dans une seule direction. Il n’est cependant pas bien
compris comment les cellules arrivent à établir la localisation de ces
transporteurs uniquement sur une face particulière de la cellule.
L’équipe de Yohann Boutté au laboratoire de biogenèse membranaire à Bordeaux, en collaboration avec des chercheurs Suédois (Umeå Plant Science Centre)
et Américains (University of California, Riverside), a mis en
évidence la composition en lipides singulière d’une structure
membranaire dérivée de l’appareil de Golgi et qui représente une gare de
triage majeure dans les cellules eucaryotes. Certains lipides qui la
composent, possèdent une chaîne carbonée particulièrement longue et les
chercheurs ont mis en évidence qu’ils jouent un rôle d’aiguilleur dans
le tri et le bon adressage des transporteurs d’auxine vers la face de
la cellule où ils doivent normalement se concentrer. Les chercheurs
sont parvenus expérimentalement à raccourcir de manière spécifique la
chaine carbonée de ces lipides. Ceci entraine non seulement une
perturbation de l’adressage des transporteurs d’auxine vers leur
endroit de prédilection, mais également une perte de la capacité des
plantes à s’orienter en fonction de la gravité.
Ces travaux révèlent que les lipides, éléments de base des
membranes, jouent un rôle prépondérant dans l’acquisition de
l’hétérogénéité de distribution des composants cellulaires. Le grand
succès évolutif des cellules eucaryotes est d’avoir différencié des
compartiments membranaires qui se sont spécialisés dans telle ou telle
fonction cellulaire et ont permis l’apparition d’organismes
multicellulaires complexes. Les lipides ont longtemps été considérés
comme des briques inertes dans ce processus alors que nous commençons
seulement à appréhender leur nature de matériaux « intelligents » qui
confèrent des propriétés fonctionnelles particulières aux membranes
biologiques et jouent un rôle déterminant dans la genèse de ces
compartiments spécialisés.
Figure : Les cellules végétales sont
capables d’envoyer certaines protéines sur une seule face de la
cellule, comme ici à la face supérieure (dite apicale) de la cellule.
La mise en place de cette directionnalité est encore une énigme. Cette
étude montre que le compartiment intracellulaire (en rouge) dérivé de
l’appareil de Golgi (en blanc) est enrichi en lipides ayant une chaine
carbonée très longue (en rouge sur la représentation de la molécule de
lipide). Ces lipides agissent en aiguilleur pour trier et adresser des
protéines vers un pôle particulier de la cellule.
© Yohann Boutté
En savoir plus
Nature Communications. 7. Article number:12788 doi:10.1038/ncomms12788
Contact chercheur
-
Yohann Boutté
Laboratoire de Biogenèse membranaire
CNRS UMR 5200-Université Bordeaux Segalen
Bâtiment A3
INRA Bordeaux Aquitaine
71 Avenue Edouard Bourlaux CS20032
33140 Villenave d'Ornon
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