jeudi 4 août 2016

Biodiversité, combien de millions d’espèces ?

La biodiversité continue de fasciner et émerveiller les scientifiques. A chaque fois qu’on connait le nombre d’espèces disponibles, on est surpris par ce qu’il nous reste encore à découvrir.

Après des siècles d’études, on pensait avoir au moins une idée approximative du nombre des différentes espèces vivant sur Terre. L’utilité d’un tel recensement est d’autant plus urgent que la biodiversité disparaît à une vitesse grandissante en raison des activités humaines. Des espèces vont s’éteindre avant même qu’on ne les découvre.
 Les scientifiques ont répertorié près de 2 millions d’espèces, mais on estime le nombre total entre à 3 à 100 millions. Le consensus s’est fixé récemment au bas de la fourchette, avec une étude très popularisée qui a proposé un chiffre précis de 8,7 millions d’espèces (à l’exception des bactéries, trop compliquées à compter).

Si c’est bien le cas, on a accompli des progrès considérables en cataloguant la biodiversité de la planète en ayant effectué 20 % peut-être du travail.

Mais dans une correspondance publiée dans la revue Nature, nous estimons que ce consensus sous-estime la biodiversité terrestre d’un facteur dix. Auquel cas, la tâche de décrire et de comprendre la biodiversité s’avère plus herculéenne qu’on n’aurait jamais pu l’imaginer.

Depuis 300 ans que le naturaliste suédois Carolus Linnaeus s’est illustré comme pionnier en matière de classification scientifique, nous pourrions avoir désigné seulement 2 % de la biodiversité terrestre.

Souvent, les espèces ne sont pas ce qu’elles paraissent

Les espèces constituent l’une des unités fondamentales de la biodiversité. Chaque unité représente une lignée évolutive indépendante et un patrimoine génétique irremplaçable.
Par exemple, le chien domestique, Canis lupus, est d’une espèce différente de celle du chacal doré, Canis aureas, parce que les deux groupes ne se reproduisent pas entre eux, pas plus qu’ils n’échangent de gènes. Mais les épagneuls et les dalmatiens proviennent tout simplement de races différentes d’une même espèce, celle du Canis lupus, et peuvent volontiers s’accoupler et générer des bâtards.

Il est difficile, parfois, de distinguer des espèces différentes. Cas extrême : les espèces cryptiques. Extérieurement, elles sont semblables, mais elles se révèlent être des espèces spécifiques ne se reproduisant jamais avec d’autres. Elles ont un patrimoine génétique particulier qui évolue dans des directions indépendantes.

On ne reconnaît les espèces cryptiques qu’au moyen d’études laborieuses, intégrant le travail de terrain, l’écologie et la génétique.

Nos recherches sur l’ADN de ce qui semble être une espèce unique, largement répandue, le gecko australien, ont révélé qu’il y aurait au moins dix espèces cryptiques. Chacune est cantonnée à l’intérieur d’un petit territoire et ne s’accouple jamais hors de sa zone, depuis les dix dernières millions d’années.

Malgré leur ressemblance, ces espèces cryptiques de geckos ont bien plus de différences génétiques entre elles que, disons, les humains et les chimpanzés. Donc, il s’agit bien là de véritables espèces malgré leur apparence semblable (ils sont parfois impossibles à distinguer).

On a trouvé récemment des espèces cryptiques chez quelques-uns des animaux marins les plus imposants et les mieux étudiés comme des baleines à bec ou les requins-marteaux.

Sur terre, les scientifiques viennent tout juste de réaliser que les éléphants africains proviennent probablement pas d’une seule espèce, mais de deux espèces cryptiques : un éléphant du bush (de la savane) et un éléphant de la forêt.
La plupart du vivant est constitué de petits invertébrés, essentiellement des arthropodes comme les insectes, les araignées et les crustacés, bien moins connus que les éléphants ou les requins.

Comme il existe tellement peu de taxonomistes et tellement d’êtres invertébrés, ce sont seulement des groupes très différenciés qui sont répertoriés comme espèces séparées. Ce tri se base généralement sur la seule inspection visuelle, sans analyse génétique. On connaît ces espèces repérées au tout premier examen sous le nom d’espèces morphologiques et elles composent le gros de la biodiversité connue.

Quand les scientifiques examinent de plus près ces invertébrés morphologiques, en étudiant leur ADN, ils découvrent en général des espèces multiples. Elles peuvent avoir un air de ressemblance, mais ne se croisent jamais et ne l’ont jamais fait depuis des millions d’années.

Par exemple, l’insecte qu’on croyait autrefois appartenir à une seule et unique espèce de moustique porteur du paludisme s’est révélé comme étant constitué d’au moins sept espèces différentes. Et dans le cas d’un parasite dévastateur en agriculture, la mouche blanche du tabac, ce sont 31 espèces cryptiques qui ont été dénombrées.

Examiner chaque espèce connue dans ses détails génétiques va représenter une tâche immense, même avec la promesse de techniques rapides comme le code-barres de l’ADN. Mais, ce faisant, ce sont les espèces cryptiques qui devront se révéler comme la règle et non l’exception, parmi la majorité des espèces vivantes.

Des millions d’espèces supplémentaires

La plupart des deux millions d’espèces répertoriées sont des espèces morphologiques. Le fait d’avancer le chiffre de 8,7 millions d’espèces sur Terre ainsi que d’autres estimations semblables est une extrapolation de ce chiffrage de 2 millions (ou de chiffres antérieurs encore plus bas, comme 1,2 million).

Cependant, une cascade de nouvelles preuves génétiques démontre que de nombreuses espèces morphologiques déjà connues peuvent représenter jusqu’à dix espèces cryptiques – voire davantage – toutes semblables les unes aux autres, mais constituant néanmoins de véritables espèces avec des patrimoines génétiques distincts. La plupart des simulations de la diversité globale des espèces n’en avaient pas rendu compte.

Par conséquent, les 2 millions d’espèces morphologiques déjà décrites pourraient facilement représenter 20 millions, peut-être, d’espèces à part entière. Il suffira, si l’on s’y met un jour, d’une analyse ADN pour le prouver. Cette augmentation par dix ferait passer les estimations de biodiversité totale de la Terre à une amplification similaire, par exemple de 8,7 millions à 87 millions.

Pourquoi la taxonomie est vitale pour l’humanité

Tout cela a-t-il quelque importance ? Y a-t-il des conséquences lorsqu’on catalogue des éléphants d’Afrique soit comme une espèce morphologique, soit comme deux espèces similaires, mais distinctes ?

Nous pensons que cela peut entraîner de profondes incidences. Regrouper dans une seule et même espèce tous les éléphants africains peut conduire à des décisions mauvaises quant à leur conservation.

Par exemple, nous ne nous soucions pas des éléphants de la forêt, en voie de disparition, aussi longtemps que, dans la savane, des éléphants demeurent nombreux. On laisse périr les éléphants de la forêt, ce qui entraîne la mort d’une espèce distincte. Et cela ne fera qu’aggraver le problème si nous transférons les éléphants de la savane dans la forêt, un habitat qui leur est étranger. Après ça, nous nous demanderons bien pourquoi ils ne sont pas en train de prospérer…

De la même façon, il est impératif de savoir si un moustique nuisible appartient à une ou plusieurs espèces. Cela peut changer en mieux des millions de vies, car les espèces cryptiques de moustiques différent dans leur comportement, leur habitat et leur capacité de transmettre le paludisme.

Les efforts actuels dans le comptage et l’identification des espèces terrestres sont loin d’être un obscur exercice universitaire. Connaître combien de formes de vie existent sur la Terre, c’est l’une des interrogations scientifiques les plus fondamentales que l’on puisse formuler. Que ce soit dans la préservation de l’agriculture ou aux progrès en faveur de la santé, nos efforts pour répondre à ces questions vont de diverses et importantes façons bénéficier grandement à l’humanité.
The Conversation Mike Lee, Professor in Evolutionary Biology (jointly appointed with South Australian Museum), Flinders University and Paul Oliver, Postdoctoral Researcher in Biodiversity and Evolution, Australian National University
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.


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