vendredi 3 juin 2016

Bilan environnemental des agrocarburants


Alexandre Gohin, chercheur au très écologiste Institut national de la recherche agronomique, défend le bilan environnemental des agrocarburants en deux arguments. Tous les deux faux. 


Dans un article présentant des faits et chiffres tendant à démontrer que la production d'agrocarburants pour un parc dominé par les moteurs diésel est plus nocive pour l'environnement que l'utilisation de pétrole fossile, lemonde.fr interroge Alexandre Gohin, chercheur reconnu dans le domaine des modélisations mathématiques de l'agriculture. L'article est visible à l'adresse :
http://www.lemonde.fr/energies/article/2016/04/28/les-biocarburants-emettent-plus-de-co2-que-l-essence-et-le-diesel_4910371_1653054.html
Je serais bien incapable de comprendre les publications scientifique d'Alexandre Gohin et je ne doute pas qu'il soit très pertinent dans son domaine, mais sa défense des agrocarburants dans cet article frise le grotesque (je m'excuse d'avance si c'est la journaliste qui a déformé son propos).
Il fonde sa défense sur deux arguments :
  • l'augmentation des rendements, qui permettrait de produire plus d'agrocarburant sans utiliser de nouvelles terres,
  • le fait que la forêt (tiens ? on ne vient pas de dire qu'on n'avait pas besoin de nouvelles terres ?) n'est coupée qu'une fois mais permet de faire croître de multiples récoltes qui, chaque année, piègeront du CO2.
Ces deux arguments sont irrecevables.
  1. Il est de notoriété publique que les rendements agricoles n'augmentent plus depuis de nombreuses années dans les pays industrialisés (ou "à hauts revenus"), les sols étant lessivés par des décennies de dopage aux engrais chimiques. Pour les gens -intelligents- que la notoriété publique ne satisfait pas, quelques minutes à tripoter l'outil statistique de la FAO ou un bref passage sur les pages 18 et 48 de ce rapport du Progamme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) apporteront les données pertinentes.
    De plus, les surfaces agricoles actuellement consacrées aux biocarburants sont actuellement très faibles. Donc même si on doublait le rendement, on passerait d'une quantité de biocarburant ridicule au double d'une quantité ridicule, ce qui reste extrêmement faible et négligeable. Il est donc évident que pour constituer une filière crédible d'agrocarburants il faudrait massivement réallouer les sols à cette culture, au détriment de l'agriculture vivrière ou de la forêt. Ce qui est implicitement admis dans le second argument...
  2. Alexandre Gohin semble expliquer qu'une agriculture récoltée chaque année piègera chaque année une bonne quantité de CO2 et sera donc plus bénéfique qu'une forêt contre l'effet de serre. Je ne sais pas si c'est de la mauvaise foi ou un mauvais foie à cause d'une cuite violente, mais cet argument fait peine venant d'un scientifique de son niveau. Une forêt, avec ses multiples niveaux de végétation, est un puits de carbone unanimement reconnu, documenté, mesuré par des myriades d'études. Damien Monal, pourtant aussi chercheur de l'INRA, chiffre leur pouvoir entre 6 et 15 tonnes de CO2 absorbé par hectare et par an, selon le type de forêt, dans un billet du site La Recherche. Et nos forêts de feuillus dans un climat à quatre saison sont plutôt dans le haut de la fourchette. En revanche, l'agriculture ne piège qu'assez peu de CO2 car, justement, les plantes sont récoltées chaque année et ne se développent donc pas en produisant du bois à partir du carbone et en utilisant une surface de feuilles toujours plus grande d'année en année pour la photosynthèse. De plus, l'activité agricole elle-même produit beaucoup de gaz à effet de serre, l'équivalent d'environ 2,4 tonnes par hectare et par an. Sans parler de l'impact catastrophique sur la biodiversité, résumé dans le graphique de la page 47 du rapport du PNUE cité ci-dessus.
Bref, pour nous convaincre du caractère durable et respectueux d'une éventuelle filière d'agrocarburants (à ne pas confondre avec les biocarburants, concept plus général incluant les microalgues qui sont, elles, bienplus prometteuses), il faudra autre chose que des arguments à l'encontre de toutes les données scientifiques, même si ces arguments sont énoncés par un scientifique de haut niveau.



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