Par Frédéric Lewino
Publié le
| Le Point.fr
Ainsi parle l'ADN : les Européens descendent des agriculteurs anatoliens et les Indiens, Pakistanais et Afghans, des agriculteurs iraniens.
Depuis la Georgie,
où elle mène des fouilles en ce mois de juillet, l'archéozoologue
Marjan Mashkour laisse libre cours à son enthousiasme en évoquant sa
découverte étonnante sur le haut plateau iranien : « Grâce à des
analyses ADN, nous savons maintenant qu'il a existé dans les monts
Zagros, en Iran,
un deuxième foyer de l'agriculture n'ayant aucun lien avec celui bien
connu d'Anatolie. Plus intéressant encore, nous montrons que le foyer
anatolien sera à l'origine des populations européennes, tandis que le
foyer iranien donnera naissance aux populations d'Afghanistan, du Pakistan, de l'Inde, et peut-être même de Chine ! » Ces travaux sont si sensationnels que la revue Science
a accepté de les publier sous la cosignature des membres d'une équipe
internationale se répartissant entre le Muséum national d'histoire
naturelle de Paris (MNHN), les universités de Mayence, le Collège de
Londres et le Musée national d'Iran.
Tout commence quand Marjan Mashkour échantillonne des fossiles
d'animaux conservés au Musée national d'Iran et provenant de la grotte
de Wezmeh, utilisée comme tanière, voilà 9 000 ans, par des ours et des
hyènes. Elle identifie des ossements de pieds humains appartenant à des
victimes de la faune sauvage. Or, justement, à cette même époque,
l'agriculture était en train d'apparaître dans la région. Depuis peu,
les archéologues fouillent le site de Tepe Abdul Hosein, proche de la
grotte, où les archéologues ont découvert des traces de blé et d'orge
cultivés. Plusieurs squelettes des habitants ont été retrouvés sous les
maisons. Ces fossiles humains donnent l'idée à Marjan Mashkour d'une
comparaison ADN entre les ossements de la grotte, les habitants du
village et les premiers paysans des sites anatoliens.
Pas encore de réponses définitives
Stupéfaction : les paléogénéticiens de l'université de Mayence
constatent que les génomes des deux populations d'agriculteurs du
néolithique, d'Anatolie et d'Iran, sont très différents. « Il n'y avait
eu aucun contact entre eux depuis au moins 36 000 ans, donc bien avant
qu'ils n'apprennent à cultiver », explique la chercheuse française. Un
premier choc. Comment, en effet, expliquer la double naissance de
l'agriculture quasi simultanément ? D'abord la culture du blé et de
l'orge, puis la domestication de la chèvre, du porc, du bœuf. Pour
l'instant, les archéologues n'ont pas encore de réponses définitives.
Plusieurs facteurs ont dû jouer : une même modification de
l'environnement déclenchée par un changement climatique, un progrès
technologique avançant au même rythme, mais aussi une même maturation
culturelle permettant à l'homme de s'extraire de la nature pour
l'exploiter.
Par la suite, on aurait pu imaginer une fusion de ces deux foyers de
l'agriculture relativement proches. Ce n'est pas ce que montre la
comparaison des génomes de ces deux foyers de l'agriculture avec ceux
des populations actuelles européennes et asiatiques. Au contraire, elle
affirme clairement l'existence de deux migrations. Les paysans
anatoliens ont pris la route de l'Europe, où ils ont chassé les
populations autochtones, tandis que les paysans iraniens se sont
répandus en Afghanistan, au Pakistan et en Inde. Allez savoir
pourquoi...
Il existe dans le monde d'autres foyers de l'agriculture, mais plus
récents. En Méso-Amérique (Mexique-Guatemala), avec les piments, les
courges, le millet, puis le maïs. En Chine, avec le millet, le soja et
le riz. Du riz cultivé serait apparu en Corée voilà 15 000 ans. Mais il
faut également compter avec d'autres foyers au Sahel, en Amérique du Sud
et même en Nouvelle-Guinée.
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