L’agroforesterie promeut un retour aux origines de l’agriculture –
les arbres et les champs –pour remplacer les énormes monocultures.
Tony Simons est directeur général du Centre mondial de
l’agroforesterie, un organe basé à Nairobi qui opère dans 43 pays en
développement pour promouvoir l’abandon de l’agriculture « high tech ».
Au profit d’un mélange de foresterie et d’agriculture, qui permet à la
fois d’augmenter la productivité et les revenus, et de protéger le
climat et l’environnement.
Qu’est-ce que l’agroforesterie ?
Une combinaison d’agriculture et d’arbres. Le monde compte
4,1 milliards d’hectare de forêt et 1,5 million d’hectares de terres
agricoles. L’agroforesterie tente donc de combiner les deux.
Au lieu d’une mécanisation et de l’utilisation de semences
génétiquement modifiées et de fertilisants, il s’agit de revenir aux
méthodes plus anciennes : des arbres pour assurer de l’ombre, des
nourrissants, le drainage de l’eau de pluie, etc.
Les arbres apportent deux choses, un « produit » et un « service ».
Les produits typiques sont par exemple le bois à brûler, le bois de
construction, les fruits, les substances médicinales, les feuilles qui
fertilisent les sols, etc.
Des substances médicinales ?
Les arbres vivent plus d’un an, ils ne sont pas annuels, et ne
peuvent se déplacer, ils restent au même endroit pendant 20, 30, 50,
100 ans. Ce sont donc les végétaux qui parviennent le mieux à développer
des composants complexes afin de se protéger des insectes, des maladies
et des stress environnementaux. Ces substances ont des propriétés
médicinales. Les deux tiers de toutes les plantes médicinales sont des
arbres.
Ce sont donc des « produits », quels sont les « services » ?
Les arbres stoppent l’érosion, font remonter de l’eau de très profond, sont des cadres de biodiversité, aspirent le CO2 de l’atmosphère – les arbres sont les meilleurs pour ça.
Vous devez connaître cette expression « le meilleur moment
pour planter un arbre c’est il y a 20 ans. Et sinon, c’est
aujourd’hui ». Comment persuadez-vous les agriculteurs des pays en
développement de planter des arbres ? Comment font-ils pour attendre
20 ans ?
Le premier avantage que l’agriculteur obtient de l’arbre est un point
clé. Certains arbres grandissent très vite, et on en profite dès
six mois. En six mois, on peut récolter des fruits et du fourrage pour
les animaux. Si vous avez un tout petit terrain où sont attachés des
animaux, vous pouvez en tirer du fourrage riche, qui les aidera à
produire des protéines, et donc du lait et de la viande. Cela peut se
réaliser à très court terme.
Si par contre vous optez pour une rotation longue, par exemple un
arbre destiné à fournir du bois de construction, qui mettra 15 à 20 ans à
grandir, les bénéfices sont différents et il faut que les agriculteurs
le voient. On peut alors penser à certains programmes d’incitations,
voire de subvention, pour planter ces arbres qui ont un effet sur le CO2. Il ne faudrait cependant pas que les agriculteurs le fassent uniquement pour le marché du carbone…
Pourquoi pas ?
Le carbone est l’actif le plus variable que nous ayons. D’un côté, il
coute moins de 50 euros la tonne, sous forme de bois de chauffage. De
l’autre, il coûte près de 100 milliards d’euro la tonne, sous forme de
diamants.
Au milieu de ça, il y a le carbone atmosphérique, qui coute 1,8 euros
la tonne sur le nouveau marché du carbone. Même en ne comparant que le
bois, le bois de chauffage coûte moins de 50 euros la tonne, mais le
bois tendre se vend à 220 euros le mètre cube et le bois dur à
400 euros. S’il s’agit de hêtre ou d’acajou européen certifié, le prix
s’envole à environ 3 000 euros le mètre cube. Dans ces conditions,
pourquoi voudriez-vous accepter deux euros contre la promesse de ne pas
couper votre arbre ? Si vous aviez un baril de pétrole, voudriez-vous le
mettre à la remise et ne pas en profiter contre un dédommagement de
80 centimes ?
Le portrait que vous dressez est très poétique, très
romantique, mais semble aller à l’encontre de l’actuelle doctrine sur le
développement et des priorités de l’UE, qui sont plus tournées vers les
grosses exploitations agricoles et la dépendance envers les produits
synthétiques ou technologiques. Luttez-vous contre cela ?
Quand toutes ces décisions ont été prises pour l’agriculture
industrielle à grande échelle, nous n’avions pas les connaissances que
nous avons aujourd’hui. C’est très compliqué. Quand vous cherchez à
promouvoir ou réguler une industrie, vous voulez des choses simples, qui
deviennent le paradigme pour l’agriculture et la foresterie :
« séparons-les et créons cette grande initiative ».
Nous comprenons mieux l’écologie aujourd’hui, et notamment la
nécessité de tenir compte des coûts négatifs [notamment indirects]. Si
vous coupez une magnifique mangrove sur la côte pour y installer des
élevages de crevettes, il ne faut pas seulement compter l’impact positif
– les revenus de la vente de crevettes -, mais aussi les aspects
négatifs – quand un tsunami survient et qu’il n’est pas freiné par la
mangrove, les dommages sont beaucoup plus importants. C’est comme ça que
30 000 personnes ont disparu, parce qu’il n’y avait plus de protection.
Ce coût n’est pas pris en considération.
Je comprends la logique de votre raisonnement, mais n’est-il
pas difficile de convaincre les gens d’abandonner leur vision de
l’agriculture pour revenir à ce système ?
Les petits exploitants sont très curieux. Ils sont partants pour
essayer presque tout. Souvent ils n’adoptent pas ces pratiques, par
exemple parce qu’on les a encouragés à ne pas le faire, mais ils
essaient beaucoup de choses.
Nous avons fait des expériences récemment. Combien de nouvelles
essences les agriculteurs accepteraient-ils ? Rappelons qu’il n’y a que
35 espèces d’arbres au Royaume-Uni, et 250 dans toute l’Europe. Nous,
nous avons amené 80 nouvelles essences dans des fermes au Kenya.
Certains agriculteurs les ont toutes testées.
Cela ne veut pas dire qu’ils les adopteront toutes, mais ils les
essayent sur 2, 3 ou 5 % de leurs terres. Quand on fait des essais pour
des tomates, des carottes ou du maïs, on peut décider l’année prochaine
de faire plutôt pousser des épinards. Pour les arbres, c’est une
décision à plus long terme. Quels sont les avantages, les revenus
temporaires que les agriculteurs peuvent obtenir en attendant ?
En résumé, qu’est-ce que Bruxelles pourrait faire ? Le Centre mondial de l’agroforesterie a-t-elle une liste de propositions ?
En ce qui concerne les marchandises courantes, comme l’huile de
palme, le bois de construction, le cacao, le café ou le caoutchouc, il
serait réellement utile d’avoir une mesure précise des réussites.
Combien d’huile de palme voulons-nous produire, étant donné son
impact et les controverses qui l’entourent ? Les arbres sont
formidables, ils sont renouvelables, on peut les couper, les débiter,
les utiliser – quels volumes de bioénergie, de fibre, d’arbres
voulons-nous ?
Il faut envoyer ce genre de signaux, soutenir ces initiatives
progressistes, éventuellement via des réglementations, mais surtout par
des incitations ouvertes, et non par des obstacles.
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