Une expertise scientifique collective s'est intéressée aux impacts
cumulés des cours d'eau. Leurs principaux résultats soulignent un
déficit de connaissance. Les opérateurs attendent quant à eux des outils
d'aide à la décision.
Comment évaluer l'impact cumulé des retenues d'eau ?
C'est à cette question qu'ont tenté de répondre les scientifiques de
l'Irstea (Institut de recherche en sciences et technologies pour
l'environnement et l'agriculture) et l'Inra (Institut national de
recherche agronomique), missionnés sur ce sujet par le ministère de
l'Environnement. Depuis la réforme de décembre 2011,
les projets de création de retenues qui nécessitent une étude d'impact
doivent en effet ajouter à leur dossier une analyse des effets cumulés
des ouvrages. Le problème ? Aucune méthodologie nationale n'existe
aujourd'hui et ce sujet apparaît comme un casse tête pour beaucoup
d'acteurs.
Pourtant, le contexte réglementaire et climatique pourrait multiplier le besoin de recourir à ce type d'analyse. "Le passage par la retenue est une voie envisagée par beaucoup de bassins en déséquilibre structurelle", a
rappelé François Mitteault, directeur de l'eau et de la biodiversité au
ministère de l'Environnement lors du colloque de restitution de
l'expertise scientifique collective (Esco), le 19 mai. Dans le
prolongement de la loi sur les milieux aquatiques et la réforme des volumes prélevables, la circulaire du 3 août 2010
a en effet ouvert la possibilité de créer des retenues pour permettre
de corriger les déséquilibres quantitatifs en matière de prélèvement.
Par ailleurs, après une période de moratoire sur le financement des retenues de substitution, le Gouvernement a, en 2013, rétabli et conditionné les aides des agences de l'eau à l'inscription de ces nouvelles ressources dans un projet de territoire.
"C'est une question sensible, a constaté François Mitteault. L'expertise pourrait nous permettre de disposer d'éléments pour objectiver les débats et prendre des décisions".
Ainsi parmi les autres interrogations sur lesquelles devaient se
pencher les scientifiques, figurait la comparaison à volume équivalent
des effets de plusieurs petites retenues par rapport à quelques grandes.
Ou encore les possibilités de prédiction des effets d'équipements
futurs. Ces questions font notamment écho au débat provoqué par le projet de barrage de Sivens
(Tarn). Après de nombreux rebondissements, les éléments techniques de
ce dernier restent en discussion. Dans le cadre d'un projet de
territoire, un comité de conciliation doit affiner le dimensionnement du
barrage.
Un manque de données et connaissances
L'expertise scientifique collective fait ressortir les lacunes dans la couverture de ce sujet. "Une
des difficultés qu'a rencontré l'expertise est la diversité des
retenues aussi bien concernant leurs usages, leurs tailles, leurs
formes, leurs modes d'alimentation et de restitution de l'eau mais
également leurs positions dans le bassin versant ainsi que leurs liens
avec le cours d'eau", a pointé Nadia Carluer, hydrologue à l'Irstea, responsable scientifique de l'expertise.
Or, la littérature analysée s'intéresse rarement à des données comme
l'existence de débit réservé ou les modes de gestion. Les retenues de
substitution ou de réalimentation s'avèrent peu représentées dans les
analyses. Mais surtout, les experts ont relevé que très peu d'études
abordent l'influence cumulée des retenues sur l'ensemble des
caractéristiques fonctionnelles.
Ils ont toutefois dégagé quelques grandes tendances à l'issue de leur
analyse. Ainsi concernant l'hydrologie, les scientifiques ont souligné
que les effets cumulés peuvent être très différents de la somme des
effets individuels. Ils n'ont toutefois pas pu dégager d'indicateurs
permettant de les évaluer. Si la modélisation leur ait apparu comme une
méthode privilégiée, elle se heurte à de nombreuses difficultés dont la
caractérisation insuffisante des retenues.
"Il est important de prendre en compte le contexte de chaque
retenue, érosif ou sédimentaire. Les conséquences sont différentes", a
noté Yves Le Bissonnais, directeur de recherche à l'Inra, spécialiste
de l'érosion de surface. Autre facteur important à prendre en compte :
la connectivité des retenues entre elles et avec le cours d'eau.
Concernant les impacts sur la qualité physico-chimique, les
scientifiques considèrent que les effets cumulés dépendent du
fonctionnement des différentes retenues. Une des pistes de recherche qui
pourrait être envisagée serait l'utilisation d'isotopes.
"Les plans d'eau participent aux émissions de gaz à effet de serre
mais ils séquestrent également du carbone, ces résultats
contradictoires nécessitent des travaux de recherche", a souligné
Catherine Grimaldi, attachée de recherche dans l'unité Sol Agro et
hydrosystème spatialisation de l'Inra. Enfin, l'influence sur les
communautés biologiques nécessitera selon les experts une approche
terrain. S'il n'existe pas de démarche qui permet d'appréhender ces
effets cumulatifs, les scientifiques ont identifié des outils
utilisables une fois validés, comme des invertébrés benthiques,
sensibles à la présence et aux nombres de retenues sur le bassin.
D'une façon plus générale, l'expertise collective a estimé que
l'échelle pour l'étude des impacts doit être plus large que celle du
bassin versant. La multiplication des retenues entraîne en effet une
réduction des flux d'eau et de sédiments vers la mer.
"La complexité et la diversité des situations retrouvées dans la
littérature a conduit à une impossibilité d'aboutir à des indicateurs et
descripteurs directement transposables", a constaté Nadia Carluer.
Les scientifiques préconisent donc la poursuite de l'élaboration des
connaissances et la bancarisation des données.
Quelle traduction opérationnelle ?
Après cette phase de restitution, l'expertise doit se concentrer sur les questions opérationnelles. "Nous
allons dans la prochaine étape, nous pencher sur la caractérisation du
bassin à grande échelle et ensuite aller vers des arbres de décisions
suivant que nous nous trouvons sur tel type de bassin et telle retenue, a projeté Nadia Carluer. Nous pourrons proposer
des guides mais je ne vois pas comment donner des choses pertinentes
sans avoir acquis des données sur certains bassins".
De leur coté, les acteurs opérationnels attendent de ce travail des
recommandations et des indicateurs simples pour caractériser l'impact
des plans d'eau et éventuellement pour améliorer l'existant. Lors du
colloque de restitution, les représentants présents ont indiqué avoir
pris acte de la nécessaire construction de données à une échelle
pertinente. Pour eux, cette acquisition ne doit toutefois pas bloquer
les projets. "Cette expertise a le mérite de faire le point sur les connaissances et de pointer les limites, a estimé Rémi Oudin, chargé de mission à la délégation bassin Loire-Bretagne de la Dreal. Il faut éclairer cette question et ne pas attendre de constater que nous sommes allés trop loin. Avancer sans aller trop loin". Ils ont ainsi assuré qu'ils ne demanderaient pas aux études d'impacts des éléments qu'elles ne pourraient obtenir.
"Avec cette étude, nous avons le regard d'experts de chaque
domaine mais il n'y a pas d'étude intégrative qui voit le plan d'eau
dans son ensemble, a quant à lui constaté Philippe Barrieu, de la direction départementale du territoire (DDT) du Gers. Il va falloir trouver les bons indicateurs et progresser graduellement : pour un petit projet, nous ne demanderons pas tout". Certains
acteurs, comme l'Office nationale de l'eau et des milieux aquatiques
(Onema), ont mis l'accent sur l'intérêt de s'appuyer sur les systèmes
existants.
"Entre le blocage des projets ou continuer sans se poser de
questions, il faut trouver un chemin médian : comment peut-on améliorer
la connaissance et avoir un système juridiquement et socialement
équilibré, a pointé Paul Michelet, directeur général de l'Onema. Il
y a un besoin d'alimenter le système en remontées de terrain. Nous
allons avoir besoin de retour d'expériences pour savoir ce qu'il faut
reproduire ou pas".
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