Produire du biocarburant et des substances chimiques sans polluer, telle
est la promesse de cette nouvelle découverte (ici, un champ de colza
destiné au biocarburant, Ph. Daniel Jolivet via Flickr CC BY 2.0).
Ce n’est pas tous les jours que l’on découvre un processus inédit utilisé par certains végétaux pour se développer.
Mais quand ce processus réalise un idéal pour la production d’énergie
propre aisément transposable à l’échelle industrielle, la découverte se
transforme en “saut technologique”.
Concrètement, une équipe pluridisciplinaire
de l’université de Copenhague (Danemark) a mis le doigt sur un cycle de
réactions biochimiques utilisé par des champignons, des bactéries et
des virus qui permet de transformer la matière végétale (“biomasse”) en
méthanol grâce à l’énergie solaire. Ce, à des vitesses au moins 100
fois supérieures à celles des techniques usuelles de l’industrie
chimique. Un processus nommé par les chercheurs : “photosynthèse
inverse”.
Une photosynthèse inverse et propre
En effet, la photosynthèse des plantes transforme le dioxyde de
carbone de l’air (CO2) et les photons du Soleil en oxygène et en de
longues chaines carbonées qui constitueront notamment la cellulose des
plantes.
Or, la réaction découverte par les chercheurs fait l’inverse : elle
casse ces longues chaines carbonées en consommant de l’oxygène et des
photons solaires pour produire de petites molécules (du méthanol), de
l’eau et surtout pas de CO2 ! C’est aussi simple que cela.
Produire du méthanol à l’aide d’une nouvelle enzyme
Le méthanol, qui sert de biocarburant, est par ailleurs très utilisé
comme intermédiaire dans l’industrie chimique pour produire un autre
biocarburant (le bioéthanol) mais également des plastiques, des
peintures, des textiles, des explosifs, des solvants, des antigels…
C’est dire l’enjeu économique que représente une amélioration de la
synthèse de cette substance.
Or, les chercheurs ont transformé de la biomasse en méthanol en
quelque 10 minutes, contre 24 heures pour les processus utilisés
couramment ! Cela, à l’aide d’une petite enzyme
synthétisée par l’ADN de certains champignons, bactéries et virus –
une “monooxygénase” nommée LPMO – mélangée à de la chlorophylle, le tout
boosté par de la lumière solaire ou artificielle.
Comment transformer une enzyme en machine à faire du méthanol
Cette enzyme, déjà connue, servirait justement aux êtres qui la
produisent à digérer de la matière organique comme la cellulose des
plantes – et plus généralement les matières biologiques à base de
polysaccharides (amidon, chitine, etc.). L’exploit des chercheurs
consiste à avoir trouvé des conditions particulières qui l’ont
transformée en machine à produire du méthanol à grande vitesse.
En effet, les polysaccharides sont de longues “chaines carbonées”
particulièrement résistantes à la dégradation (la preuve : les humains
et beaucoup d’animaux ont du mal à les digérer). Ces chaines ont une
ossature en atomes de carbone C liés entre eux sous la forme C-C-C-C-…
ou liées avec des atomes d’oxygène sous la forme C-C-O-C-C-…
Casser les chaînes carbonées
Ces chaines comportent en outre des atomes d’hydrogène H voire des
atomes d’azote N. Et elles peuvent se structurer sur deux dimensions
(couches) ou sur 3 dimensions en se “réticulant” (liaisons entre
différentes couches). C’est la base de la chimie dite “organique” (ou
chimie CHON).
Au contraire, le méthanol est une petite molécule comportant un seul
atome de carbone entouré de trois atomes d’hydrogène et un groupement
“O-H” (qui en fait un élément de la famille des alcools). Il s’agit
alors de casser la chaine carbonée d’un polysaccharide pour en faire
plein de molécules de méthanol.
La chlorophylle entre en action
Pour cela, il faut d’abord une pince à couper, l’enzyme, ensuite des
“bouchons”, des groupements O-H (pour boucher chaque fragment coupé) et
enfin de l’énergie pour mettre tout ce beau monde en action, l’énergie
solaire – sans oublier de mettre un peu d’acide ascorbique (vitamine C)
dans la solution.
Ainsi: l’oxygène pompé dans l’air, formé de deux atomes d’oxygène
O-O, va servir à constituer le groupement OH – l’autre atome O sera
évacué sous forme de molécule H2O (eau). La chlorophylle, elle, servira à
transformer la lumière en électricité : son pigment vert se gonfle
d’énergie en captant les photons et se libère de cette énergie en
lâchant un électron.
Enfin, l’électron migre vers l’enzyme pour lui permettre de procéder à
la coupure de la chaine et au rebouchage des molécules coupées par des
groupements O-H. Le tour est joué.
Un “marteau de Thor” chimique
Pas une molécule de CO2 n’a été lâchée dans l’environnement, et le
processus bat tous les records de vitesse. La technique mise au point
constitue ainsi un véritable “marteau de Thor”, comme l’ont surnommé les
chercheurs, qui assomme de joie les industriels.
Reste donc maintenant à développer et adapter cela à la production à
grande échelle – notamment, il faudra cultiver les champignons ou des
bactéries pourvoyeurs d’enzyme LPMO. Affaire à suivre.
–Román Ikonicoff
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