Jean-Marc Jancovici, un expert reconnu des
questions énergétiques fondateur de la société Carbone 4, souhaite
dissiper, dans ce nouveau livre, quelques malentendus sur le climat et
l’énergie qui risquent d’être lourds de conséquences politiques.
L’auteur mène son instruction au pas de charge, dans les 11 chapitres
de son ouvrage, pour convaincre le lecteur de perdre certaines
illusions sur l’avenir de l’économie et d’adopter un point de vue
réaliste sur l’énergie. En effet, il estime qu’un retour de la
croissance économique mondiale, en berne depuis la crise financière de
2007, est illusoire. La consommation s’essoufflant, le retour de la
croissance est, selon lui, un mythe qu’il pourfend dans nombre de
chapitres.
Il constate d’abord que l’offre mondiale d’énergie, de pétrole
notamment, augmente peu depuis une dizaine d’années. La production de
pétrole conventionnel stagne, compensée, il est vrai, par l’exploitation
du pétrole de schiste, plus coûteuse. Cette tendance lourde compromet
la croissance du PIB (produit intérieur brut) à long terme, une énergie
abondante à bas coût catalysant l’économie. Il observe ensuite que le
pétrole évolue de manière contracyclique avec le PIB : la baisse des
investissements dans le secteur pétrolier lorsque son cours est bas,
comme aujourd’hui, va peser à terme sur l’offre de pétrole qui, si elle
diminue, freinera à nouveau l’économie. Il reste à trouver la recette
pour gérer un monde sans croissance économique avec un chômage élevé.
Miser sur des activités de service (comme les aides à la personne et le
tourisme) est une solution qui conduira, ajoute-t-il, à revoir
sérieusement le rôle de l’Université, qui devrait préparer à de nouveaux
métiers. La vertu d’un accès non sélectif à l’enseignement supérieur
d’une large fraction de chaque génération est un autre mythe à
pourfendre.
Le livre a été écrit avant la Convention-cadre des Nations unies sur
les changements climatiques de 2015 (COP21) mais, sans en attendre les
conclusions, l’auteur invite les lecteurs à ne pas dormir jusqu’à la fin
du siècle car le changement climatique fait courir des risques sérieux à
toute la planète et surtout à des régions pauvres qui subiront des
sécheresses compromettant les récoltes (les crises alimentaires, en
Tunisie, en Égypte et en Syrie, ont contribué à l’avènement des
printemps arabes).
La relation énergie-climat est évidemment au cœur de la question
climatique puisque aujourd’hui, les énergies fossiles, émettrices de CO2,
représentent encore 80 % de la demande énergétique mondiale, et
l’auteur la passe au crible dans cinq chapitres à l’argumentation très
serrée. Selon lui, le recours aux énergies renouvelables pour produire
de l’électricité n’est pas la formule magique que défendent certains,
notamment les Verts, car leur rentabilité n’est pas assurée et la
question de leur stockage n’est pas résolue. Le pari de l’Allemagne
d’assurer une transition énergétique via ces énergies est très risqué et
peut s’avérer coûteux. De plus, alors Berlin a déstabilisé le marché
européen de l’électricité (en subventionnant massivement les filières
renouvelables), les Allemands ne peuvent pas prétendre diminuer leurs
émissions de CO2 en sortant du nucléaire tout en conservant
le charbon, une énergie du passé. Celui-ci devrait être la cible des
efforts internationaux pour limiter le réchauffement climatique alors
qu’il est sur la première marche du podium des filières électriques
émettrices de CO2. L’option nucléaire semble à l’auteur,
arguments à l’appui, la seule option raisonnable au plan technique et
financier pour sortir des énergies fossiles et éviter un réchauffement
climatique désastreux, même s’il reconnaît que le nucléaire est très
capitalistique (trois à quatre fois plus que le solaire ou l’éolien,
mais avec un facteur de disponibilité plus élevé).
Dans son dernier chapitre, l’auteur pourfend un dernier mythe, celui
de la « croissance verte ». Une économie verte peut certes augmenter
l’efficacité énergétique, mais il ne faut pas se faire d’illusions : sa
progression et celle des énergies renouvelables ne compenseront pas
assez vite la chute inéluctable et souhaitable de l’offre d’énergies
fossiles pour éviter une baisse du PIB.
Jean-Marc Jancovici plaide avec talent, dans son livre, pour que
l’économie mondiale puisse « atterrir en douceur » et assurer ainsi un
avenir « durable » à la planète. Il faut éviter que le débat sur
l’avenir de l’énergie soit biaisé par des malentendus et, même si le
lecteur a souvent le tournis dans l’avalanche de chiffres que déclenche
l’auteur, celui-ci parvient à en dissiper un certain nombre. Toutefois,
son point de vue reste très occidental car il laisse dans l’ombre la
question majeure du développement des pays émergents qui ont besoin
d’énergie et de croissance ; par ailleurs, il n’évoque pas la
possibilité de ruptures techniques qui feraient sauter les verrous qui
bloquent encore le décollage de filières renouvelables. En dépit de
quelques zones d’ombre, ce livre a le grand mérite d’inviter à plus de
réalisme dans le débat sur l’énergie et le climat.
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