Longue est la liste des pathologies susceptibles d'être un jour
traitées, voire évitées, grâce aux micro-organismes peuplant l'intestin,
ce qui suscite l'engouement des industries pharmaceutique et
agroalimentaire pour ce secteur.
Riche de quelque 100.000 milliards de micro-organismes - des
bactéries pour la plupart - avec 10 millions de gènes caractérisés à
l'heure actuelle, l'écosystème microbien intestinal, ou microbiome, est
"une piste majeure pour des schémas thérapeutiques nouveaux, ayant
vocation à considérer la symbiose entre l'homme et ses microbes comme le
levier d'action pour sinon guérir, du moins prévenir des maladies",
explique à l'AFP Joël Doré, directeur de recherche à l'Institut de
recherche agronomique (Inra France).
Car la majorité des micro-organismes dominants sont "bénéfiques et
protecteurs" pour leur "hôte", le corps humain: en contribuant à la
digestion, en fabriquant des vitamines, en agissant comme "stimulant"
des défenses immunitaires ou en faisant barrage à des bactéries
extérieures pathogènes, énumère ce spécialiste du microbiome.
Jusqu'à récemment, seuls les micro-organismes intestinaux que l'on
pouvait cultiver isolément en laboratoire pouvaient être étudiés en
détail, soit seulement 20%, rappelle le chercheur.
Mais "la donne a complètement changé avec la révolution technologique
du séquençage génomique haut débit et les progrès de la
bio-informatique", souligne Isabelle de Crémoux, présidente de la
société de capital-risque Seventure Partners (groupe Natixis), l'un des
pionniers de l'investissement dans des start-ups du microbiome avec un
fonds de 160 millions d'euros dédié aux sciences de la vie.
L'industrie pharmaceutique, qui s'est longtemps sentie moins
concernée par le microbiome que l'industrie agroalimentaire et ses
aliments enrichis (les fameux "alicaments"), a désormais pleinement
rejoint la course.
En décembre, le numéro un mondial Novartis a rejoint le fonds piloté
par Seventure Partners, aux côtés de groupes agroalimentaires comme
Danone, le sucrier Tereos, le fromager Bel ou le fabricant de levures
Lesaffre.
Cette semaine l'autre géant suisse de la pharmacie, Roche, et
l'américain Pfizer, ont participé à un tour de table d'environ 43
millions de dollars pour financer une biotech californienne spécialisée
dans le microbiome, Second Genome.
Certains jeunes acteurs du secteur, à peine cotés en Bourse, sont
déjà valorisés à plus d'un milliard d'euros, comme l'américain Seres
Therapeutics et le britannique 4D Pharma.
- Un terreau fertile en France -
En France aussi, grâce notamment aux travaux de l'Inra sur le
microbiome et à Seventure Partners, plusieurs start-ups spécialisées
dans le microbiome ont récemment émergé.
La plus avancée d'entre elles, Enterome Bioscience, a levé cette
semaine 14,5 millions d'euros auprès d'investisseurs, dont Nestlé Health
Science, la filiale santé du groupe agroalimentaire suisse, déjà
actionnaire et partenaire de Seres Therapeutics.
Enterome, qui développe de nouvelles approches dans le diagnostic et
le traitement de troubles gastro-intestinaux, de cancers et de maladies
métaboliques à partir des micro-organismes de l'intestin, a aussi noué
dernièrement des collaborations avec de grands laboratoires
pharmaceutiques, comme les américains AbbVie, Johnson and Johnson, ou le
japonais Takeda.
"On s'attaque aux marchés les plus importants du monde
pharmaceutique", résume le PDG d'Enterome Pierre Bélichard pour tenter
d'expliquer cet engouement.
"Ces maladies ont toutes un point commun: elles sont liées à des
défaillances immunitaires. Or l'interaction, le dialogue entre le
système immunitaire et les micro-organismes de l'intestin est crucial
(...). On n'est pas dans le traitement des symptômes" assure-t-il à
l'AFP.
Avec d'autres start-ups tricolores dans le même domaine comme MaaT
Pharma, qui a levé 10 millions d'euros en mars, ou TargEDys, qui a
récolté 5,8 millions d'euros la semaine dernière, "on a tous les
éléments en France pour créer un microcosme local bénéfique" autour du
microbiome, juge M. Bélichard.
Il craint cependant qu'un manque de financements publics ne
compromette à terme l'aventure française, alors que le gouvernement
fédéral américain a mis sur la table quelque 922 millions de dollars de
2012 à 2014 pour doper la recherche sur le microbiome.
"On peut être un peu pessimiste quand on compare avec les
investissements américains. Mais il y a de la place pour une grande
diversité d'acteurs, tant le champ des possibles semble vaste" dans ce
domaine, commente Joël Doré.
23/04/2016 08:31:12 -
Paris (AFP) -
© 2016 AFP
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