dimanche 24 juillet 2016

Oïdium et mildiou : des vignes multi-résistantes... sans OGM

L’Institut national de recherche agronomique (Inra France) met au point plusieurs variétés de vignes résistantes au mildiou et à l’oïdium. Objectif : diminuer, de façon durable, les traitements phytosanitaires... le tout, sans recours aux OGM (ni transgéniques, ni nouveaux). Seul « processus auxiliaire technologique » utilisé : la sélection assistée par marqueurs (SAM). Débutée dans les années 2000, cette recherche va conduire à l’inscription au catalogue, en 2017, de quatre variétés résistantes. Solution partielle en attendant une approche plus durable et intégrée ?


L’objectif du plan Ecophyto, lancé suite au Grenelle de l’Environnement en 2008, est de diminuer les applications de phytosanitaires, tout en assurant un niveau de production élevé tant en quantité qu’en qualité. Une des pistes, pas la seule on le verra, pour les semenciers et la recherche publique, mais aussi en théorie pour les paysans, est de sélectionner des nouvelles variétés végétales résistantes à différentes maladies ou parasites.
Les méthodes de production de nouvelles variétés sont variées : en caricaturant un peu, du plus naturel au plus « bricolé », elles vont depuis la sélection massale par le paysan (choisir dans la récolte la « meilleure » plante pour la reproduire, selon des critères propres au paysan), aux techniques de modifications génétiques donnant des OGM qui sont fabriqués en laboratoire par la recherche publique ou privée [1]


Entre ces deux extrêmes, les semenciers et le département « Biologie et Amélioration des plantes » de l’Inra ont beaucoup travaillé à la mise au point de variétés « élites », celles qui nécessitent des intrants (engrais, pesticides) pour produire des rendements élevés. En viticulture, à la suite des techniques de greffage avec des porte-greffes résistants au phylloxéra, à la fin du XIXe siècle, les recherches ont porté sur la résistance aux maladies dues à des champignons (maladies dîtes cryptogamiques), notamment mildiou et oïdium, sans qu’aucune des variétés obtenues ne puisse être utilisée ailleurs qu’en vin de table, faute d’un agrément dans les appellations [2]. Déçus, les chercheurs ont alors délaissé ces recherches pendant plusieurs années. C’est seulement vers la fin des années 70 qu’elles ont repris à Bordeaux et Montpellier, avec notamment l’exploitation d’une résistance actuelle d’une vigne sauvage américaine, Muscadinia rotundifolia.


Le défi : résister en gardant la qualité

 

Plusieurs espèces sauvages porteuses de gènes de résistance à certaines maladies cryptogamiques ont alors été croisées avec des variétés cultivées de vignes avec un objectif : rendre les variétés de vigne cultivées résistantes aux maladies... sans par ailleurs changer les qualités de ces variétés initiales. Dure gageure, notamment si l’on part d’espèces ou même de sous-genres différents (comme Vitis et Muscadinia). Biologiquement, cela peut s’obtenir en croisant plusieurs fois la variété que l’on veut rendre résistante avec la variété sauvage, ce que l’on appelle des rétrocroisements (voir encadré et schéma). Notons ici que les rétrocroisements ne sont pas anodins pour le génome comme le montre ce récent article d’Inf’OGM  [3].


Parmi les difficultés du rétrocroisement, il en est deux que les techniques de sélection assistée par marqueurs (SAM) ont pu résoudre. D’abord, connaître la région dans laquelle se trouve les gènes de résistance sur le génome ; ensuite, savoir quelles plantes issues des croisements ont ou non intégré ces gènes. Un marqueur moléculaire est un fragment du génome facilement identifiable par le chercheur. Si l’on sait qu’il se trouve près du gène d’intérêt (sans pour autant que ce dernier soit précisément connu), identifier la présence du marqueur moléculaire permet d’en déduire la présence du gène d’intérêt [4]. Cette technique fait gagner du temps pour le sélectionneur, en permettant de « trier les populations de sélection deux mois après le semis des pépins et d’éliminer, dès ce stade, tous les individus qui ne portent pas les gènes de résistance souhaités » [5]. Christophe Schneider, qui a mené ces recherches à l’Inra de Colmar, précise à Inf’OGM que « le temps gagné correspond [en effet] au temps qu’il faudrait pour installer les plantes dans un dispositif d’évaluation de la résistance en serre ou au vignoble, au temps qu’il faudrait pour réaliser l’évaluation (plusieurs passages au cours du cycle végétatif, éventuellement sur plusieurs années), au temps qu’il faudrait pour entretenir ces plantes dans le dispositif ».
Autre difficulté pour le sélectionneur : le contournement rapide des résistances si celles-ci ne reposent que sur un seul gène. Les chercheurs ont donc intégré plusieurs gènes de résistances, à la fois pour le mildiou et l’oïdium (trois gènes pour chacun). C’est ce qu’ils appellent le « pyramidage » (les biotechnologues parlent d’empilement, mais c’est la même chose). Cette recherche de résistance qui se veut durable a donné son nom au programme de recherche : « Resdur ».
L’ensemble du processus avec sélection assistée par marqueurs dure une quinzaine d’années (contre 25 ans en moyenne auparavant pour les rétrocroisements sans SAM). Il est constitué par trois étapes : la première, celle des croisements, s’étale au long des années 1 à 3 : elle a généré 13 000 individus dont 750 ont été gardés. La seconde étape, des années 4 à 9, contrôle la phénologie (influence du climat sur la biologie des plantes), l’architecture, la production et les caractéristiques et qualité du vin : elle se déroule dans plusieurs lieux. Enfin, la dernière étape (années 10 à 15) contrôle la Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale (VATE) avant l’inscription des meilleures variétés au catalogue, dont quelques-unes seront sans doute inscrites dès 2017 (plants disponibles au printemps 2018).
De manière générale, la sélection précoce (étape 1) met en œuvre des techniques de marquage moléculaires pour sélectionner les descendants ayant hérité des gènes de résistance présents chez les parents (SAM), alors que les sélections intermédiaire et finale (étapes 2 et 3) reposent plutôt sur des techniques classiques d’évaluation phénotypique au vignoble et en cave.


Des traitements diminués de... 96%

 

L’Inra a également mené des essais, à partir de 2011, pour comparer ces variétés dans différents itinéraires techniques, tous à bas intrants. Résultats plus qu’encourageants : les variétés résistantes ont permis de diminuer l’indice de fréquence des traitements de... 96% [6].
Ces nouvelles variétés seront protégées par un certificat d’obtention végétale (COV), dont l’Inra sera le seul titulaire dans la majorité des cas. Dans quelques cas, il s’agira de variétés obtenues en partenariat avec un institut public étranger – dont l’Inra ne souhaite pas dévoiler le nom tant que les variétés ne sont pas inscrites - ce qui se traduira par des COV avec deux détenteurs (co-obtentions). En aucun cas, nous affirme Christophe Schneider, ces variétés ne seront concernées par des brevets, un propos que, faute de réponse de l’Unité Contrats et Propriété Intellectuelle de l’Inra, nous n’avons pu confirmer, mais qui pose question, notamment avec le partenaire public non français (cf. plus loin). Des sélections similaires ont commencé en 2011 en Champagne, dans le cadre du même programme Resdur, pour des résultats attendus vers 2025 [7] !

Changer les cerveaux, pas les variétés

 

Happy end ? Et vive l’Inra ? Dans le cadre du paradigme actuel, oui : les chercheurs ont répondu à la commande, obtenant des résistances au mildiou et à l’oïdium, intégrant qui plus est de potentiels contournements de résistances, et respectant le cahier de charges sur la qualité du vin, bref, un sans faute, du moins pour les quelques années à venir, et une belle « success story ».

Mais rembobinons. L’introduction de l’article présente comme logique, pour diminuer l’emploi des phytosanitaires (on peut aussi les appeler des pesticides chimiques) de « sélectionner des nouvelles variétés végétales résistantes à différentes maladies ou parasites ». Dans notre paradigme actuel d’une agriculture productiviste et chimique (même lorsqu’il s’agit de réduire les applications d’intrants), les problèmes sont pris un par un (ici, deux maladies) et souvent avec des solutions sur une des composantes du système (ici, la tolérance de la variété à deux maladies). C’est utile pour la connaissance. Mais la somme de solutions à des problèmes ponctuels n’est pas forcément une solution durable et globale à la production agricole. Par ailleurs, la SAM est une technique de laboratoire loin d’être à la portée des paysans et qui de plus ouvre la porte aux brevets sur ces futurs vignes (même si le chercheur nous a affirmé ici que ce n’était pas le cas [8]). D’après le rapport de synthèse du groupe de travail sur la Propriété Intellectuelle (PI) sur les connaissances dans le secteur végétal de l’Inra (2014), « la direction du département Biologie et Amélioration des plantes (BAP) de l’Inra défend le brevet assez largement, tout en soulignant que COV et brevets sont complémentaires. Ce département ne relève pas comme certains juristes et la majorité des acteurs du secteur végétal que la coexistence de ces deux formes de PI peut poser de vrais problèmes d’interférence ». Enfin, l’idée de la plante miracle que la science nous propose n’est plus de mise : il faudrait pouvoir mettre en place une recherche collaborative à base de sélections massales qui pourraient certainement déboucher sur la démonstration de l’intérêt de la diversité pour résister durablement aux divers champignons...

Car si les attaques de mildiou et d’oïdium sont provisoirement résolus grâce à ces nouvelles variétés, quid des attaques de black-rot apparues en nombre en 2015, ou de l’invasion récente de drosophiles Suzukii qui en quelque années ravagent les vignobles ? Quid également du phylloxera, dont la parade trouvée avec les porte-greffe résistants occasionne, c’est maintenant reconnu, d’autres maladies (comme l’esca, notamment avec la greffe mécanique) et raccourcit la longévité des vignes ? Celle-ci passe en effet de 250 à 300 ans pour une vigne non greffée à 100 ans pour une vigne greffée à la main, ou même 30 ans pour une vigne greffée mécaniquement [9] ? Christophe Schneider nous précise que les nouvelles variétés résistantes à l’oïdium et au mildiou mentionnées dans cet article le sont toutes avec des porte-greffes résistants au phylloxéra, et n’ont pas été évaluées pour une éventuelle résistance au phylloxéra. Et quid des solutions contre les nématodes contre lesquels un simple repos de la terre est efficace (mais solution impensable économiquement pour un vigneron spécialisé) [10] ? Et de l’utilisation de champignons nématophages [11] ?

Tous ces exemples nous ont été donnés justement par un vigneron, Philippe Pouchin, installé sur les Côteaux d’Aix, pour qui, « la vigne idéale n’existe pas. Toute recherche génère son impensé : impensé des nouveaux champignons, des nouveaux parasites, des nouvelles contraintes (climatiques et autres) ». Du coup, il prône le développement « d’itinéraires techniques rustiques et résilients ». Sur ses vignes enherbées, par exemple, il constate que « si la spore de mildiou arrive sur la vigne, elle trouve des haies, des herbes : elle tombe dans le Bronx, et ne résiste pas » [12]. En résumé, les solutions uniquement génétiques sont envisagées et mises en œuvre principalement car on ne change pas les méthodes de culture qui rendent les vignes malades : excès de labours, engrais et excès de fumure organique, herbicides et insecticides qui tuent toute vie fongique du sol (mycorhizes) et tous les auxiliaires, faibles densités et monocultures viticoles dans des « terres à blé » trop riches pour la vigne européenne... Lucide, Philippe Pouchin conclut : « cela demande de changer les cerveaux, pas les variétés ».


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