L’activité humaine relâche dans l’atmosphère des tonnes de gaz
carbonique, principal gaz à effet de serre, depuis les débuts de l’ère
industrielle, en brûlant des combustibles fossiles et des produits
pétroliers. Nous avons ainsi atteint des seuils de CO2 dans l’atmosphère
bien supérieurs à ce que la terre a jamais connu. Les conséquences
quant à elles, sont en revanche bien connues : acidification des océans
et changement climatique. De nombreux scientifiques cherchent des façons
de capturer mais aussi de transformer le CO2 atmosphérique en source
d’énergie. Or nous avons à notre disposition de nombreux modèles pour
nous inspirer, car c’est exactement ce que font les plantes depuis 500
millions d’années grâce à la photosynthèse.
La photosynthèse, apparue il y a environ 3,8 milliards d’années chez les cyanobactéries [1],
est à l’origine de l’évolution de la vie sur terre, car d’une part elle
produit l’oxygène que nous respirons sans lequel il ne pourrait y avoir
d’animaux, et d’autre part, elle permet la production abondante de
matière organique, qui est elle-même consommée par les animaux et se
trouve donc à la base de la chaîne alimentaire. Ces deux activités
principales de la photosynthèse que sont la production d’oxygène et la
synthèse de matière organique sont dues à un élément majeur : le
photosystème, qui puise son énergie dans le soleil [2].
Grâce aux photons, le photosystème est capable de réaliser la coupure
de la molécule d’eau pour produire de l’oxygène, de l’énergie (ATP) et
des électrons de bas potentiel (H2 ou NADPH,H+), qui serviront au niveau
du deuxième élément de la photosynthèse qui est la fixation du CO2,
dans le but de réaliser les synthèses des molécules organiques
cellulaires.
Réaction de coupure de la molécule d’eau
2 H2O → O2 + 2H2
2 H2O → O2 + 2H2
Si l’on imagine maintenant un système artificiel permettant de
convertir l’énergie solaire en carburant liquide, que l’on pourrait
appeler feuille bionique, il faudrait donc que ce système réalise les
deux opérations de la photosynthèse que sont la coupure de la molécule
d’eau et la synthèse de molécules organiques à partir du CO2. Les
chimistes savent depuis longtemps réaliser ces deux opérations mais dans
des procédés très coûteux en énergie, à cause des propriétés chimiques
intrinsèques de ces deux éléments, car aussi bien l’eau que le gaz
carbonique sont des molécules très stables et donc peu réactives. Il
faut par exemple appliquer des courants très élevés pour réaliser
l’électrolyse de l’eau, ou atteindre des températures et des pressions
très élevées pour convertir le CO2 en CO par la réaction du gaz à l’eau
(water gas shift en anglais) [3], puis en hydrocarbure par le procédé Fischer-Tropsch [4].
Ces procédés nécessitent de plus l’utilisation de catalyseurs à base de
métaux précieux. Comment la nature réussit-elle alors à réaliser cette
chimie dans les conditions douces de la biologie ? C’est là que réside
tout le secret de la photosynthèse, qui dispose d’une source d’énergie
abondante et gratuite, celle du soleil. Pour être parfaitement efficace
dans une optique de développement durable, une feuille artificielle
devra donc réaliser à partir de l’énergie solaire les deux opérations
clés de la photosynthèse, dans des conditions proches des conditions
naturelles, et faisant intervenir des catalyseurs à base de métaux non
précieux.
Dans un article récent paru dans la revue Science, Daniel Nocera,
professeur des sciences de l’énergie à l’Université de Harvard, pionnier
dans l’utilisation de la photosynthèse artificielle, décrit la mise au
point avec sa collègue Pamela Silver, d’un système qui permet la
fabrication de combustibles liquides à partir de la lumière du soleil,
du dioxyde de carbone et de l’eau [5].
La clé de cette innovation, comparée aux technologies existantes,
réside dans l’utilisation d’un nouveau catalyseur haute performance à
base de cobalt (cobalt-phosphore à la cathode et phosphate de cobalt à
l’anode), nécessitant des courants plus faibles pour réaliser
l’électrolyse de l’eau. Les conditions d’opération de ce nouveau
catalyseur permettent le couplage avec une cellule photovoltaïque pour
apporter le courant nécessaire à l’électrolyse. Ce nouveau système
permet donc de réaliser la coupure de la molécule d’eau grâce à
l’énergie solaire, réalisant ainsi la première étape de la feuille
artificielle.
Schéma réactionnel de la réaction de coupure de la molécule d’eau (en noir) et image au microscope électronique des catalyseurs. L’eau est oxydée à l’anode avec dégagement d’oxygène. Les protons sont réduits en hydrogène à la cathode. La réaction en 1 (en rouge) indique qu’il n’y a pas de dégagement toxique d’espèces réactives de l’oxygène. La réaction 2 indique qu’au cours de l’électrolyse, l’ion cobalt libéré par la cathode ne s’accumule pas dans le milieu réactionnel mais se dépose sur l’anode. La barre d’échelle représente 10 microns. - Chong Liu, et al. Science 352, 1210-1213 (2016).
Image au microscope électronique de R. eutropha - http://ultraculture.org/blog/2012/09/11/can-we-create-renewable-fuel-with-bacteria/
bactérie autotrophe (qui fixe le CO2), bien connue des microbiologistes : Ralstonia eutropha (récement renommée Cupriavidus necator) [6]. Cette bactérie présente dans le sol et l’eau est étudiée depuis bientôt trente ans car elle présente la propriété rare de pouvoir utiliser l’hydrogène comme source d’énergie en présence d’oxygène. Avec de l’hydrogène comme source d’énergie et du gaz carbonique comme source de carbone, cette bactérie est capable de synthétiser sa propre matière organique et donc de se multiplier.
Des cellules photovoltaïques alimentent en électricité les catalyseurs qui réalisent la coupure de la molécule d’eau en oxygène et hydrogène. L’H2 est ensuite consommé par R. eutropha qui produit de l’isopropanol - http://blog.sciencenet.cn/blog-286952-921548.html
faut-il qu’elle produise des molécules d’intérêt. Un mutant a donc été sélectionné qui sécrète dans le milieu de culture de l’isopropanol et de l’isobutanol, deux alcools qui présentent des densités énergétiques proches de celle de l’essence.
Bill Gates a dit que pour résoudre nos problèmes énergétiques, un jour nous aurons besoin de faire ce que fait la photosynthèse, et qu’un jour nous pourrions être en mesure de le faire encore plus efficacement que les plantes. D’après Daniel Nocera ce jour est arrivé.
Rédacteur :
Marc Rousset, Attaché pour la Science et la Technologie, Chicago, attache-agro@ambascience-usa.org
[1] La photosynthèse prend de l’âge : elle a 3,8 milliards d’années - http://www.futura-sciences.com/magazines/terre/infos/actu/d/paleontologie-photosynthese-prend-age-elle-38-milliards-annees-44891/
[2] La photosynthèse - https://fr.wikipedia.org/wiki/Photosynth%C3%A8se
[3] Water gas shift reaction - https://en.wikipedia.org/wiki/Water-gas_shift_reaction
[4] Procédé Fischer-Tropsch - https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A9d%C3%A9_Fischer-Tropsch
[5] Water splitting–biosynthetic system with CO2 reduction efficiencies exceeding photosynthesis - http://science.sciencemag.org/content/352/6290/1210
[6] Rasltonia eutropha - https://en.wikipedia.org/wiki/Cupriavidus_necator
Origine: http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/
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