21 mars 2016
|Sabah Rahmani - Le Monde |
Science et technologie
Mémoire, douleur, vision, odorat… Les botanistes
découvrent chez les végétaux toujours plus de capacités qu’on pensait
propres au monde animal. Les débats sont passionnés.
Loin des clichés sur la plante verte et passive, la biologie
végétale ne cesse d’observer depuis une quinzaine d’années des facultés
surprenantes que l’on croyait réservées au monde animal. Les végétaux
ont de multiples capacités sensorielles
qui leur permettent de
communiquer entre eux et avec des insectes, de s’adapter aux situations
de crise et de mémoriser. À la grande surprise des chercheurs, leurs
activités biochimiques sont liées à de mystérieuses activités
électriques.
Au Département de biologie moléculaire de la plante à l’Université de
Lausanne, l’équipe dirigée par Edward Farmer travaille sur l’une des
dernières découvertes qui émerveillent le monde de la recherche :
l’activité électrique des plantes.
Lorsque celles-ci sont blessées par exemple, elles émettent des signaux électriques qui passent d’un point à l’autre. « On
s’est demandé si ces signaux électriques générés quand on blesse la
plante peuvent déclencher des mécanismes biochimiques de défense »,
précise Edward Farmer. Car les protéines de défense sont produites non
seulement dans les parties attaquées, mais aussi dans les parties
saines.
Système nerveux, vraiment ?
Grâce au modèle de l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana),
l’équipe a réussi à identifier les gènes qui déclenchent le signal
électrique et à confirmer le lien avec l’activation des protéines de
défense loin de la blessure. Les résultats publiés en 2013 dans Nature ont identifié trois gènes, semblables à ceux des animaux, impliqués dans ce processus électrophysiologique. « Ce
qui est surprenant, c’est que ces gènes sont très similaires aux gènes
dans les synapses rapides du cerveau humain, alors qu’une plante n’a
aucun neurone. C’est très intrigant et stimulant », explique le professeur Farmer avec enthousiasme.
Toute cellule biologique a un potentiel électrochimique de membrane
qui agit comme une petite pile polarisée, mais la transmission
électrique d’une cellule végétale à l’autre sur une longue distance
reste une énigme. Avec une moyenne de 8 à 10 cm par minute — « un peu la vitesse d’une chenille qui marche sur une feuille » —, le signal électrique a une vitesse hétérogène et « cet entre-deux est un vrai casse-tête pour la recherche », ajoute-t-il.
Les plantes ont aussi des processus d’information, de mémoire, de décisions, de résolution de problèmes.
Les nombreuses et déroutantes similitudes entre l’activité électrique
des plantes et le système nerveux des animaux suscitent encore des
débats, parfois houleux, dans la communauté des biologistes. Bien avant
les travaux d’Edward Farmer, Stefano Mancuso de l’Université de
Florence, et Frantisek Baluska, de l’Université de Bonn, soulignaient
dans leurs travaux l’importance de l’activité « synaptique » des plantes. À tel point qu’en 2005, Mancuso utilise pour la première fois l’expression « neurobiologie » végétale en fondant avec Baluska le Laboratoire international de neurobiologie des plantes.
À l’instar de nombreux collègues, Farmer réfute cette appellation,
car la plante n’a pas de neurone et qu’il n’est pas selon lui
scientifique de faire de telles comparaisons.
Cerveau diffus
A contrario, Baluska souligne que « ce
qui est important, c’est que la plupart des molécules responsables de
la communication et des activités neuronales dans le cerveau humain sont
aussi présentes chez les plantes avec des fonctionnements très
similaires. Le processus est très proche et implique d’une certaine
manière que les plantes ont aussi des processus d’information, de
mémoire, de décisions, de résolution de problèmes ». Comment expliquer ce mécanisme alors que la plante n’a pas de cerveau ?
« Les plantes sont capables de produire et
d’émettre des signaux électriques sur toutes les cellules de leur corps.
De ce point de vue, il y a une sorte de cerveau diffus, alors que chez
les animaux tout est concentré dans un seul organe », ajoute Mancuso.
Directeur de recherche à l’Institut national de la recherche
agronomique (INRA) en France, Bruno Moulia quant à lui relativise, car « le
piège des végétaux est qu’ils assurent de nombreuses fonctions — comme
le mouvement vasculaire, le musculaire — avec les mêmes tissus. La
question de l’activité synaptique des plantes est troublante, mais on ne
peut pas encore trancher. »
Des arbres sismographes
Au Japon, des chercheurs observent depuis longtemps que les arbres
ont une activité électrique anormale qui se manifeste de trois à quatre
jours avant un séisme et s’intensifie à l’approche du jour J. Mais le
mécanisme ne permet pas encore de localiser l’épicentre et l’ampleur
d’un séisme.
La mémoire ou l’apprentissage des plantes ne sont pas comparables aux nôtres.
Grâce à plus de 700 capteurs sensoriels répertoriés dans le monde
végétal, les plantes analysent en permanence leur environnement pour
mesurer la température, l’humidité, la lumière, etc. Elles n’ont pas
d’yeux et pourtant elles voient, elles n’ont pas de nez et pourtant
elles sentent, elles n’ont pas d’oreilles et pourtant elles réagissent
aux ondes sonores…
De nombreuses études ont également montré qu’à la suite d’un stress
(climat, torsion, etc.) les plantes sont capables de s’en souvenir et de
s’adapter à leur environnement. Par exemple, cette mémoire varie de
quelques jours à une quarantaine de jours pour la sensitive (Mimosa pudica) qui, selon l’équipe de Mancuso, montre aussi des capacités d’apprentissage.
La mémoire des plantes
Au laboratoire de Bruno Moulia, à Clermont-Ferrand, on a montré que
la plante est même capable de faire certains « calculs ». Pour autant,
Francis Hallé, botaniste français, prévient qu’il ne s’agit pas d’une « mémoire
ou d’un apprentissage comparables aux nôtres. Une plante que vous
n’arrosez que rarement par exemple, aura l’habitude de vivre au sec,
elle s’en souvient. Par contre, si vous l’arrosez beaucoup, eh bien, le
jour où vous ne l’arrosez plus, elle meurt. Car la plante dépend aussi
de ce qu’il lui est arrivé dans les époques antérieures. »
Cette mémoire est généralement activée avec l’expression d’un gène jusqu’alors inactif. « Les
gènes peuvent être modifiés chimiquement par des facteurs
environnementaux, tels que le stress, et ces modifications épigénétiques
peuvent dans certains cas être transmises à la génération suivante.
Cette sensibilité du génome est surprenante et nous commençons à peine à
explorer la portée du contrôle épigénétique du développement de la
plante », explique Lincoln Taiz, professeur émérite à l’Université de Californie.
Si l’être humain a près 25 000 gènes, les végétaux en ont souvent
beaucoup plus, comme le riz qui en compte plus de 40 000. Alors que
l’animal a la possibilité de se déplacer, la plante a finalement trouvé
ses réponses dans la richesse et la variabilité génétique. « Un gage de longévité », assure Francis Hallé, pour qui le plus important reste sans doute encore à découvrir.
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