Marc-André Selosse
Le concept d'organisme montre aujourd'hui ses limites : il faut désormais prendre en compte le fait qu'un animal ou une plante ne peut vivre sans les multiples microorganismes qui l'habitent.
n 1931, l'université du Kentucky entama l'amélioration de fétuques (des graminées) pour enrichir les pâtures de l'ouest américain. Après sélection des individus les plus performants, la variété Kentucky 31 fut commercialisée en 1943. Largement semée, la plante forma bientôt des prairies denses. Hélas, les bovins montrèrent bientôt d'étranges symptômes. Chute de la queue et des sabots, comportements de stress et activité nocturne, production de lait et de viande réduite de 30 %, avortements plus fréquents… Kentucky 31 est aujourd'hui une peste envahissante, qui coûte cher à l'agriculture.
D'où provenaient ces nuisances ? On découvrit, un peu tard, le responsable : un champignon du genre Neotyphodium,
qui vit dans la plante et produit des alcaloïdes. Certains sont
toxiques pour les insectes, d'autres pour les mammifères. Un
vasoconstricteur, l'ergovaline, explique la gangrène des extrémités des
bovins ; l'acide lysergique (un stupéfiant dont dérive le lsd)
altère le comportement. Ce champignon est cependant invisible, car il
ne sort jamais de la plante ; il en colonise tous les tissus, et en
particulier les graines. Il se reproduit donc en se propageant à la
descendance. On avait involontairement sélectionné des champignons
toxiques, parce qu'ils amélioraient la croissance, mais sans se rendre
compte qu'ils tuaient les herbivores.
Ainsi, les propriétés des grands organismes résultent parfois de
microorganismes qui les habitent. L'apport est parfois décisif : si l'on
prive Kentucky 31 de champignon par un traitement
antifongique, la plante, rendue comestible, est attaquée par les
herbivores et ne s'installe pas durablement dans la nature. C'est le
consortium plante-champignon qui est concurrentiel.
Une coexistence cruciale
Les plantes et les animaux sont habités de microbes qui façonnent
leurs traits : cela a conduit au concept d'holobionte (du grec holo, tout, et bios,
vie), qui désigne l'unité biologique composée de l'hôte (plante ou
animal) et de tous ses microorganismes. De plus en plus de biologistes
substituent ce concept à la vision d'organismes isolés, car tous sont
accompagnés. Comment se mettent en place les holobiontes ? En quoi cela
modifie-t-il l'hôte ? Nous allons voir que la coexistence au sein de
l'holobionte détermine l'évolution des partenaires.
L'holobionte cumule les propriétés de l'organisme hébergeur et de ses
passagers, dont il assemble tous les génomes. Cela a conduit à la
notion d'hologénome, qui étend le génome de l'organisme en lui
adjoignant ceux de ses microbes.
En fait, l'holobionte est un peu comme un train très fréquenté :
d'abord, il est très peuplé, car chaque organisme abrite de nombreux
microbes. Ensuite, certains passagers sont des abonnés, d'autres le
prennent juste une fois. En effet certains microbes, comme Neotyphodium,
sont héritables, passagers de toujours qui persistent de génération en
génération sans quitter l'hôte. Loin d'être les plus fréquents, ils sont
souvent étroitement intégrés dans les fonctions de l'holobionte, si
bien qu'on les a parfois repérés tardivement, comme chez Kentucky 31.
Microbes hérités ou passagers
Un autre exemple est fourni par la respiration. À l'échelle
cellulaire, ce processus est assuré par les mitochondries, des organites
qui produisent l'énergie dont a besoin la cellule. Or la mitochondrie
s'est révélée être une bactérie qui vit depuis des lustres dans nos
cellules. Les premiers observateurs l'avaient supposé parce que les
mitochondries se divisent en deux, comme des bactéries....
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