Comment évolueront les surfaces agricoles dans les prochaines décennies ?
Sous l’influence de quels facteurs ? Comment s’exprimeront les tensions
entre sécurité alimentaire et atténuation du changement climatique ?
Élaborée par des scientifiques du Cirad et de l’Inra de France avec l’appui
d’experts internationaux, l’étude prospective Agrimonde − Terra tente de
répondre à ces questions grâce à cinq scénarios d’évolution des usages
des terres et de la sécurité alimentaire.
Les résultats de l’étude prospective Agrimonde − Terra, présentés le 24
juin à Paris, mettent en relief les principaux leviers d’action, en
particulier la nécessité d’une gouvernance mondiale des usages des
terres intégrant non seulement les secteurs agricole et alimentaire,
mais aussi les autres secteurs économiques. Celle-ci devra être menée
avec l’ensemble des acteurs concernés, et aboutir à des régimes
alimentaires plus diversifiés, de nouvelles règles pour le commerce
international, des systèmes de culture et d’élevage mieux intégrés et un
accès sécurisé à la terre pour des structures agricoles variées.
Un second Agrimonde centré sur les terres
La
première prospective Agrimonde,
dont les résultats ont été diffusés en 2009, explorait les futurs
possibles des agricultures et des alimentations du monde à l’horizon
2050. Elle a révélé l’existence d’un réseau complexe d’interactions
entre la sécurité alimentaire, l‘usage des terres, et l’impact des
activités humaines sur l’environnement. Lancé en 2012, ce second volet,
baptisé Agrimonde − Terra, propose des scénarios d’évolution des usages
des terres et leurs conséquences sur la sécurité alimentaire. Pour ce
faire, les chercheurs du Cirad et de l’Inra et leurs partenaires ont
d’une part défini ce que sont les usages des terres et d’autre part
identifié les causes des changements dans les usages des terres. Les
usages des terres sont un concept qui recouvre cinq dimensions
complémentaires et dynamiques : le potentiel agronomique, l’accès à la
terre, la répartition par usage, l’intensité des usages, et les services
rendus par les terres. Cette approche fait écho aux quatre dimensions
de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (la disponibilité, l’accès,
l’utilisation et la stabilité). Quatre causes directes d’évolution des
usages des terres et trois causes externes ont également été identifiées
et leurs hypothèses d’évolution à 2050 construites de façon cohérente.
Évolution des tendances ou rupture brutale ?
Cinq scénarios
ont ensuite été élaborés, en combinant diverses hypothèses : trois
scénarios « tendanciels », basés sur les tendances en cours, et deux
scénarios « de rupture », impliquant des changements radicaux des usages
des terres. Ces scénarios ont été illustrés quantitativement pour quatorze régions du monde
. Le premier scénario (« Métropolisation
») décrit une croissance continue des mégapoles, dont les populations
consomment de plus en plus de produits animaux et/ou transformés ; aucun
effort n’est fait pour atténuer le changement climatique ; les petits
agriculteurs sont marginalisés. Le second scénario (« Régionalisation
») relate comment la croissance des villes moyennes et leur
interconnexion avec les zones rurales mènerait à l’émergence de systèmes
alimentaires régionaux, basés sur les agricultures familiales et des
nourritures traditionnelles. Le troisième scénario (« Ménages
») dépeint, dans un contexte de mobilité forte entre zones rurales et
urbaines, la mise en place de régimes alimentaires hybrides basés à la
fois sur des filières traditionnelles et modernes, avec des terres
agricoles principalement gérées par des fermes familiales et des
coopératives. Enfin, les deux derniers scénarios sont des scénarios de
rupture. L’un (« Sain
») présuppose que le coût de la malnutrition entraînera une transition
vers des régimes alimentaires sains, instillée par la coopération
mondiale et les politiques publiques, dans un contexte de stabilisation
du changement climatique et de reconfiguration des systèmes agricoles.
L’autre (« Communautés
») décrit comment les crises récurrentes favoriseraient le développement
de petites villes et communautés rurales dont le but serait de
mutualiser la propriété agricole pour garantir la sécurité alimentaire.
Pas de chemin tout tracé
L’analyse de ces scénarios montre qu’il n’existe pas de voie royale vers
la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ainsi, le scénario «
Régionalisation » répond bien à la demande alimentaire locale, mais
nécessite la mise en place d’accords commerciaux régionaux et une
adaptation importante des agricultures du monde. Il accroît en outre la
pression sur les terres agricoles et laisse de nombreuses régions
dépendantes des importations. Le scénario « Ménages » a peu ou prou les
mêmes effets, mais limite la pression foncière dans certaines régions.
Le scénario « Communautés » se traduirait par une baisse plus ou moins
prononcée de la productivité agricole et conduirait à un accroissement
de l’insécurité alimentaire et de la sous-nutrition dans certaines zones
géographiques, en dépit d’une extension des terres agricoles. Le
scénario « Sain », qui implique une consommation accrue de céréales, de
légumineuses, de fruits et de légumes, et une limitation des produits
animaux et ultra-transformés, semble le plus à même de lutter contre la
sous- et la surnutrition tout en limitant la déforestation. Il
nécessiterait néanmoins des politiques nutritionnelles fortes et
concertées au niveau mondial, ainsi que des politiques agricoles
garantissant une intensification durable des productions végétales et
animales.
Autre enseignement d’Agrimonde − Terra : quel que soit le scénario
envisagé, le commerce international sera essentiel pour assurer la
sécurité alimentaire mondiale des quelques 9,7 milliards de personnes
qui peupleront la planète en 2050.
Un outil pour favoriser le dialogue
Certaines régions du globe devront faire face en 2050 à une situation
compliquée. Ainsi, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique
sub-saharienne ou en Inde, les effets conjugués de la croissance
démographique, des faibles performances agricoles et de l’insuffisance
des ressources alimentaires accroîtront la pression foncière et
limiteront la sécurité alimentaire. Remédier à cette situation
nécessitera d’importantes transformations systémiques, des politiques
publiques fortes et les actions concertées de nombreux acteurs. Dans ce
contexte, Agrimonde − Terra pourra faciliter le dialogue entre les
divers intervenants, comme l’a montré son emploi récent en Tunisie, lors
d’un atelier de prospective. En quelques jours, des scénarios d’usage
des terres ont pu être construits par les acteurs locaux et servir de
base de discussion pour orienter les stratégies agricoles.
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