dimanche 3 juillet 2016

Agrimonde − Terra : les voies étroites de la sécurité alimentaire mondiale

Comment évolueront les surfaces agricoles dans les prochaines décennies ? Sous l’influence de quels facteurs ? Comment s’exprimeront les tensions entre sécurité alimentaire et atténuation du changement climatique ? Élaborée par des scientifiques du Cirad et de l’Inra de France avec l’appui d’experts internationaux, l’étude prospective Agrimonde − Terra tente de répondre à ces questions grâce à cinq scénarios d’évolution des usages des terres et de la sécurité alimentaire. 

Les résultats de l’étude prospective Agrimonde − Terra, présentés le 24 juin à Paris, mettent en relief les principaux leviers d’action, en particulier la nécessité d’une gouvernance mondiale des usages des terres intégrant non seulement les secteurs agricole et alimentaire, mais aussi les autres secteurs économiques. Celle-ci devra être menée avec l’ensemble des acteurs concernés, et aboutir à des régimes alimentaires plus diversifiés, de nouvelles règles pour le commerce international, des systèmes de culture et d’élevage mieux intégrés et un accès sécurisé à la terre pour des structures agricoles variées. 

Un second Agrimonde centré sur les terres 

 

La première prospective Agrimonde, dont les résultats ont été diffusés en 2009, explorait les futurs possibles des agricultures et des alimentations du monde à l’horizon 2050. Elle a révélé l’existence d’un réseau complexe d’interactions entre la sécurité alimentaire, l‘usage des terres, et l’impact des activités humaines sur l’environnement. Lancé en 2012, ce second volet, baptisé Agrimonde − Terra, propose des scénarios d’évolution des usages des terres et leurs conséquences sur la sécurité alimentaire. Pour ce faire, les chercheurs du Cirad et de l’Inra et leurs partenaires ont d’une part défini ce que sont les usages des terres et d’autre part identifié les causes des changements dans les usages des terres. Les usages des terres sont un concept qui recouvre cinq dimensions complémentaires et dynamiques : le potentiel agronomique, l’accès à la terre, la répartition par usage, l’intensité des usages, et les services rendus par les terres. Cette approche fait écho aux quatre dimensions de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (la disponibilité, l’accès, l’utilisation et la stabilité). Quatre causes directes d’évolution des usages des terres et trois causes externes ont également été identifiées et leurs hypothèses d’évolution à 2050 construites de façon cohérente. 

Évolution des tendances ou rupture brutale ? 

 

Cinq scénarios ont ensuite été élaborés, en combinant diverses hypothèses : trois scénarios « tendanciels », basés sur les tendances en cours, et deux scénarios « de rupture », impliquant des changements radicaux des usages des terres. Ces scénarios ont été illustrés quantitativement pour quatorze régions du monde . Le premier scénario (« Métropolisation ») décrit une croissance continue des mégapoles, dont les populations consomment de plus en plus de produits animaux et/ou transformés ; aucun effort n’est fait pour atténuer le changement climatique ; les petits agriculteurs sont marginalisés. Le second scénario (« Régionalisation ») relate comment la croissance des villes moyennes et leur interconnexion avec les zones rurales mènerait à l’émergence de systèmes alimentaires régionaux, basés sur les agricultures familiales et des nourritures traditionnelles. Le troisième scénario (« Ménages ») dépeint, dans un contexte de mobilité forte entre zones rurales et urbaines, la mise en place de régimes alimentaires hybrides basés à la fois sur des filières traditionnelles et modernes, avec des terres agricoles principalement gérées par des fermes familiales et des coopératives. Enfin, les deux derniers scénarios sont des scénarios de rupture. L’un (« Sain ») présuppose que le coût de la malnutrition entraînera une transition vers des régimes alimentaires sains, instillée par la coopération mondiale et les politiques publiques, dans un contexte de stabilisation du changement climatique et de reconfiguration des systèmes agricoles. L’autre (« Communautés ») décrit comment les crises récurrentes favoriseraient le développement de petites villes et communautés rurales dont le but serait de mutualiser la propriété agricole pour garantir la sécurité alimentaire. 

Pas de chemin tout tracé

 

L’analyse de ces scénarios montre qu’il n’existe pas de voie royale vers la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ainsi, le scénario « Régionalisation » répond bien à la demande alimentaire locale, mais nécessite la mise en place d’accords commerciaux régionaux et une adaptation importante des agricultures du monde. Il accroît en outre la pression sur les terres agricoles et laisse de nombreuses régions dépendantes des importations. Le scénario « Ménages » a peu ou prou les mêmes effets, mais limite la pression foncière dans certaines régions. Le scénario « Communautés » se traduirait par une baisse plus ou moins prononcée de la productivité agricole et conduirait à un accroissement de l’insécurité alimentaire et de la sous-nutrition dans certaines zones géographiques, en dépit d’une extension des terres agricoles. Le scénario « Sain », qui implique une consommation accrue de céréales, de légumineuses, de fruits et de légumes, et une limitation des produits animaux et ultra-transformés, semble le plus à même de lutter contre la sous- et la surnutrition tout en limitant la déforestation. Il nécessiterait néanmoins des politiques nutritionnelles fortes et concertées au niveau mondial, ainsi que des politiques agricoles garantissant une intensification durable des productions végétales et animales.
Autre enseignement d’Agrimonde − Terra : quel que soit le scénario envisagé, le commerce international sera essentiel pour assurer la sécurité alimentaire mondiale des quelques 9,7 milliards de personnes qui peupleront la planète en 2050. 

Un outil pour favoriser le dialogue

 

Certaines régions du globe devront faire face en 2050 à une situation compliquée. Ainsi, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique sub-saharienne ou en Inde, les effets conjugués de la croissance démographique, des faibles performances agricoles et de l’insuffisance des ressources alimentaires accroîtront la pression foncière et limiteront la sécurité alimentaire. Remédier à cette situation nécessitera d’importantes transformations systémiques, des politiques publiques fortes et les actions concertées de nombreux acteurs. Dans ce contexte, Agrimonde − Terra pourra faciliter le dialogue entre les divers intervenants, comme l’a montré son emploi récent en Tunisie, lors d’un atelier de prospective. En quelques jours, des scénarios d’usage des terres ont pu être construits par les acteurs locaux et servir de base de discussion pour orienter les stratégies agricoles. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire