Rédigé par Michael Byrne
Des physiciens du Département de l’énergie du Laboratoire national
américain Oak Ridge (ORNL) ont découvert un nouvel état de l’eau qui ne
peut être décrit comme solide, liquide ou gazeux. Il s’agit d’un état
très particulier, quoiqu’assez commun, dans lequel les molécules sont
obligées de s’adapter à une pression et un confinement extrêmes. Les
effets quantiques règnent en maîtres sur ce phénomène, surpassant les
catégories de la physique classique que nous manions d’ordinaire.
Tout
d’abord, il faut imaginer une molécule d’eau : deux atomes d’hydrogènes
liés à un atome d’oxygène. Cette molécule est placée dans un tunnel
naturel minuscule formé par les cristaux hexagonaux du béryl minéral. Le
canal, qui assez grand pour accueillir une molécule d'eau (mais pas
deux), mesure seulement 5 angströms de long, soit environ un
dix-milliardième de mètre. Selon les physiciens, ce genre de confinement
est assez répandu dans l’environnement, en particulier dans les sols,
les interfaces minérales et les parois cellulaires.
Les atomes
eux-mêmes ne mesurent qu’un angström de long, de sorte que les canaux de
béryl sont pour eux des sortes de camisoles de force. Prise au piège,
la molécules d'eau subit un effet tunnel et devient en quelque sorte «
délocalisée ». Comme nous le savons, dans le monde quantique, les
molécules et leurs atomes constitutifs sont capables d'exister sous
plusieurs états différents à la fois.
Image: A. I. Kolesnikov et al.
Comme le montre le schéma ci-dessus, les atomes d’hydrogène de la
molécule d’eau prennent six orientations symétriques différentes
simultanément, l’atome d’oxygène restant piégé au milieu d’eux.
Normalement,
une molécule d’eau comporte un atome d’oxygène au milieu de atomes
d’hydrogène répartis du même côté, selon un arrangement en forme de «
>. » Dans un tunnel de béryl, cette configuration peut emprunter six
configurations différentes correspondant aux six murs du tunnel de forme
hexagonale. Tant que l’atome d’hydrogène n’a pas assez d’énergie pour
changer de configuration, il demeure dans sa configuration d’origine.
Sur le principe. Mais dans le monde quantique, les choses sont bien plus
étranges que cela.
En effet, nous nous retrouvons avec un atome
d'oxygène central et un anneau entourant des sortes de « pics flous. »
Les atomes d'hydrogène ne sont plus appariés à l’atome d'oxygène comme
des antennes, mais existent désormais dans une sorte de suspension de
toutes les orientations possibles qu’ils pourraient emprunter. De plus,
leur température augmente. Les atomes d'hydrogène passent de
configuration en configuration par effet tunnel.
Les physiciens de l’ORNL ont pu observer ce phénomène en exploitant la diffusion neutronique.
Ici, les neutrons sont utilisés pour sonder des structures
subatomiques, et non pas pour sonder les électrons et les photons lors
de procédés d'imagerie optique et radiographique. Les neutrons, comme
leur nom l’indique, sont électriquement neutres, ce qui est très commode
: ils ne sont pas percutés par des matériaux qui pourraient se trouver
entre l'observateur et l’entité observée. Leur absence de charge
électrique signifie également qu'ils n’interfèreront pas avec les
particules chargées dont ils permettent l’observation.
La
diffusion neutronique est une technique essentielle pour comprendre les
propriétés des matériaux à l’échelle atomique, et l’ORNL est bien équipé
pour la réaliser grâce à l’accélérateur de particules Spallation
Neutron Source. Celui-ci a permis aux physiciens d’observer pour la
première fois l’effet tunnel sur des molécules d’eau. Une seconde série
d’expériences a été menée en utilisant des neutrons à haute énergie de
l’ISIS Neutron Facility au Laboratoire Rutherford Appleton au
Royaume-Uni.
Ce nouvel état de l’eau possède des propriétés
particulièrement intéressantes. D'une part, le centre de gravité de la
molécule est déplacé des deux atomes d'hydrogène périphériques à son
atome central d'oxygène. (Plutôt que d’être répartis d'un seul côté, les
atomes d’hydrogène sont maintenant disposés autour d'un cercle.)
Plus
intéressant encore, la molécule d'eau, dans cette configuration, perd
son moment dipolaire électrique. Normalement, une molécule d'eau est
chargée plus négativement au niveau de son coin d'oxygène (le sommet du
<) et chargée de manière plus positive au niveau des atomes
d'hydrogène. Dès lors que ces atomes sont également répartis de l’atome
d’oxygène, cette asymétrie n’existe plus.
Une fois que la molécule
a perdu son moment dipolaire, elle n’est plus disposée à se lier avec
d’autres atomes/molécules. La consequence est que l’eau n’est alors plus
un solvant universel
: pourtant c’est cette propriété qui permet au monde biologique de
tourner plus ou moins rond. Dans ces conditions, il est difficile de
décider s’il faut appeler cet état de l’eau « super-pur, » ou simplement
« mort. »
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