Les chercheurs chinois du Beijing Genomics
Institute ont lancé une armée de séquenceurs à l'assaut de la formule
génétique d'un million de plantes.
L'explosion démographique et le réchauffement climatique pèsent sur les ressources et posent un défi à la recherche agronomique : concilier intensivité et écologie pour produire plus sans épuiser les sols.
Le constat serre le ventre : en un siècle, un
milliard d'hectares de terres fertiles a été dégradé sous l'action de
l'activité humaine, soit autant que depuis les débuts des civilisations
agricoles. Et d'ici à 2050, la productivité des principales cultures
céréalières mondiales (blé, riz, maïs) sera impactée par la hausse des
températures dans les régions tropicales et tempérées. Le manque d'eau,
l'irrégularité des pluies, l'accroissement de l'évapotranspiration dans
tous les écosystèmes, créeront de nouvelles contraintes de production.
Les changements climatiques auront aussi un impact sur la répartition
géographique des cultures, des espèces envahissantes, des ravageurs et
des vecteurs de maladies. Les terres arables seront également agressées
par le régime de lessivage et l'accélération de l'érosion. Bref : « A ce rythme, nous manquerons sans doute de blé avant de manquer de pétrole »,
craint le microbiologiste Claude Bourguignon, qui examine depuis 1989
la composition physique, chimique et organique de plusieurs milliers de
terres cultivées sur la planète dans son Laboratoire d'analyses
microbiologiques des sols. Ses conclusions sont tranchées : non
seulement le désert et l'érosion gagnent, mais partout les équilibres
s'effondrent, l'activité biologique recule et les sols meurent. Au
total, 2,5 millions de kilomètres carrés de terres fertiles pourraient
disparaître d'ici à 2050. « Nous sommes en train de détruire le futur de notre assiette », craint le chercheur.
Les
scientifiques ont un nom pour qualifier l'agriculture
climato-intelligente nécessaire à la lutte contre cette
désertification : l'intensification durable (« sustainable
intensification »). L'Inra y consacre désormais le tiers de ses
effectifs et de son budget et prévoit en dix ans de passer maître dans
ce registre en se dotant d'outils stratégiques d'analyse et
d'observation. Plus de 200 chercheurs et ingénieurs sont déjà affectés à
ces dispositifs d'expérimentation destinés à mieux comprendre les
échanges de flux dans les écosystèmes et les interactions entre les
systèmes agricoles et environnementaux. L'établissement participe
globalement à 158 programmes européens dans ces domaines et pilote
notamment le projet d'infrastructure scientifique Anaee d'un coût proche
de 210 millions d'euros pour consolider et développer les réseaux
européens existants d'analyse et de modélisation scientifique des
écosystèmes. « Cet outil permettra à plus de 2000 chercheurs en Europe de bénéficier d'une mutualisation inédite de ressources », précise son coordinateur Abad Chabbi.
Génétique : l'accélération
Ces
moyens ne seront pas de trop pour rétablir le cycle normal de la
matière organique dans les sols. En cultivant des groupes d'espèces
complémentaires, les chercheurs espèrent parvenir à créer des usines
naturelles de production d'azote. Des essais marient, par exemple, des
légumineuses et des céréales pour mettre au travail des bactéries
spécifiques qui recombinent les glucides des plantes en molécules riches
en azote indispensable à la photosynthèse. Avec ces stratégies de
régulation écologique, on pourra sans doute lutter avec la même
efficacité contre les parasites nuisibles.
Ces
travaux fondamentaux s'accompagnent de recherches génétiques pour
adapter rapidement les espèces en déclenchant à volonté des gènes
impliqués dans certains processus. « C'est l'enjeu
majeur des prochaines décennies », estime l'agronome et
économiste Michel Griffon. A ce jour, une vingtaine de plantes - dont
deux tiers sont cultivables - ont été séquencées, et seulement les plus
simples comme la tomate, le soja, le colza, le riz ou le maïs. Les
chercheurs chinois du Beijing Genomics Institute ont mis un coup
d'accélérateur à ce défi en lançant une armée de séquenceurs à l'assaut
de la formule génétique d'un million de plantes d'ici à 2020. Une fois
cet alphabet connu, ils devront encore comprendre la grammaire du
langage végétal et ses interactions avec l'environnement.
Le
temps presse : d'ici à 2050, malgré le réchauffement climatique, il
faudra avoir doublé le rendement du blé tendre qui constitue la
nourriture de base pour plus d'un tiers de la population mondiale. A
peine le temps de tester huit générations de nouvelles variétés, selon
les méthodes de sélection généalogique héritées de l'école Vilmorin.
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