dimanche 10 avril 2016

“Photosynthèse inverse” : une découverte révolutionnaire pour l’industrie propre de demain

         Produire du biocarburant et des substances chimiques sans polluer, telle est la promesse de cette nouvelle découverte (ici, un champ de colza destiné au biocarburant, Ph. Daniel Jolivet via Flickr CC BY 2.0).


Ce n’est pas tous les jours que l’on découvre un processus inédit utilisé par certains végétaux pour se développer. Mais quand ce processus réalise un idéal pour la production d’énergie propre aisément transposable à l’échelle industrielle, la découverte se transforme en “saut technologique”.


Concrètement, une équipe pluridisciplinaire de l’université de Copenhague (Danemark) a mis le doigt sur un cycle de réactions biochimiques utilisé par des champignons, des bactéries et des virus qui permet de transformer  la matière végétale (“biomasse”) en méthanol grâce à l’énergie solaire. Ce, à des vitesses au moins 100 fois supérieures à celles des techniques usuelles de l’industrie chimique. Un processus nommé par les chercheurs : “photosynthèse inverse”.

Une photosynthèse inverse et propre


En effet, la photosynthèse des plantes transforme le dioxyde de carbone de l’air (CO2) et les photons du Soleil en oxygène et en de longues chaines carbonées qui constitueront notamment la cellulose des plantes.

Or, la réaction découverte par les chercheurs fait l’inverse : elle casse ces longues chaines carbonées en consommant de l’oxygène et des photons solaires pour produire de petites molécules (du méthanol), de l’eau et surtout pas de CO2 ! C’est aussi simple que cela.

Produire du méthanol à l’aide d’une nouvelle enzyme


Le méthanol, qui sert de biocarburant, est par ailleurs très utilisé comme intermédiaire dans l’industrie chimique pour produire un autre biocarburant (le bioéthanol) mais également des plastiques, des peintures, des textiles, des explosifs, des solvants, des antigels… C’est dire l’enjeu économique que représente une amélioration de la synthèse de cette substance.

Or, les chercheurs ont transformé de la biomasse en méthanol en quelque 10 minutes, contre 24 heures pour les processus utilisés couramment ! Cela, à l’aide d’une petite enzyme synthétisée par l’ADN de certains champignons, bactéries et virus –  une “monooxygénase” nommée LPMO – mélangée à de la chlorophylle, le tout boosté par de la lumière solaire ou artificielle.

Comment transformer une enzyme en machine à faire du méthanol


Champignon Thielavia terrestris qui synthétise des enzymes LPMO (Berka RM et. al. 2011)Cette enzyme, déjà connue, servirait justement aux êtres qui la produisent à digérer de la matière organique comme la cellulose des plantes – et plus généralement les matières biologiques à base de polysaccharides (amidon, chitine, etc.). L’exploit des chercheurs consiste à avoir trouvé des conditions particulières qui l’ont transformée en machine à produire du méthanol à grande vitesse.

Champignon Thielavia terrestris qui synthétise des enzymes LPMO (Berka RM et. al. 2011)

En effet, les polysaccharides sont de longues “chaines carbonées” particulièrement résistantes à la dégradation (la preuve : les humains et beaucoup d’animaux ont du mal à les digérer). Ces chaines ont une ossature en atomes de carbone C liés entre eux sous la forme C-C-C-C-… ou liées avec des atomes d’oxygène sous la forme C-C-O-C-C-…

Casser les chaînes carbonées

 

Ces chaines comportent en outre des atomes d’hydrogène H voire des atomes d’azote N. Et elles peuvent se structurer sur deux dimensions (couches) ou sur 3 dimensions en se “réticulant” (liaisons entre différentes couches). C’est la base de la chimie dite “organique” (ou chimie CHON).
Structure atomique de la cellulose. En rouge, l'oxygène, en blanc, l'hydrogène et en gris, le carbone (Daniel Jolivet, Domaine public).
Structure atomique de la cellulose. En rouge, l’oxygène, en blanc, l’hydrogène et en gris, le carbone (Daniel Jolivet, DP).

Une molécule de méthanol (même code couleur). DPAu contraire, le méthanol est une petite molécule comportant un seul atome de carbone entouré de trois atomes d’hydrogène et un groupement “O-H” (qui en fait un élément de la famille des alcools). Il s’agit alors de casser la chaine carbonée d’un polysaccharide pour en faire plein de molécules de méthanol.
Une molécule de méthanol (même code couleur). DP

La chlorophylle entre en action

 

Chloroplastes d'un végéta&l contenant la chlorophylle qui capte les photons solaires (Kristian Peters via Wikicommons CC BY-SA 3.0).
Pour cela, il faut d’abord une pince à couper, l’enzyme, ensuite des “bouchons”, des groupements O-H (pour boucher chaque fragment coupé) et enfin de l’énergie pour mettre tout ce beau monde en action, l’énergie solaire – sans oublier de mettre un peu d’acide ascorbique (vitamine C) dans la solution.

Chloroplastes d’un végétal contenant la chlorophylle qui capte les photons solaires (Kristian Peters via Wikicommons CC BY-SA 3.0).

Une enzyme est une "machine moléculaire" capable de capter des molécules et les "souder" (image) ou, au contraire, de casser une grande molécule (Thomas Shafee via Wikicommons CC BY-SA 4.0).Ainsi: l’oxygène pompé dans l’air, formé de deux atomes d’oxygène O-O, va servir à constituer le groupement OH – l’autre atome O sera évacué sous forme de molécule H2O (eau). La chlorophylle, elle, servira à transformer la lumière en électricité : son pigment vert se gonfle d’énergie en captant les photons et se libère de cette énergie en lâchant un électron.


 Une enzyme est une “machine moléculaire” capable de capter des molécules et les “souder” (image) ou, au contraire, de casser une grande molécule (Thomas Shafee via Wikicommons CC BY-SA 4.0).

Enfin, l’électron migre vers l’enzyme pour lui permettre de procéder à la coupure de la chaine et au rebouchage des molécules coupées par des groupements O-H. Le tour est joué.

Un “marteau de Thor” chimique

 

Pas une molécule de CO2 n’a été lâchée dans l’environnement, et le processus bat tous les records de vitesse. La technique mise au point constitue ainsi un véritable “marteau de Thor”, comme l’ont surnommé les chercheurs, qui assomme de joie les industriels.
Reste donc maintenant à développer et adapter cela à la production à grande échelle – notamment, il faudra cultiver les champignons ou des bactéries pourvoyeurs d’enzyme LPMO. Affaire à suivre.

–Román Ikonicoff

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