Dans certaines colonies, des abeilles parviennent à éradiquer les varroas, des parasites qui les affaiblissent. (Reuters)
Le séquençage du génome de ces "mouches à
miel" permettra-il de lutter efficacement contre la déclin de leurs
colonies? C’est ce qu’espèrent les chercheurs, qui travaillent sur
plusieurs pistes. L’urgence reste toutefois de réduire l’usage des
produits phytosanitaires.
Sur leurs frêles ailes
pèsent de lourdes responsabilités : 1,4 milliard d'emplois et les trois
quarts des cultures dans le monde dépendent d'animaux pollinisateurs,
gravement menacés. C'est ce qu'indique le rapport publié fin novembre
dans Nature par des chercheurs de l'université de Reading (Royaume-Uni).
La perte de ces insectes pourrait générer une "recrudescence
substantielle" de maladies et entraîner 1,4 million de décès en plus par
an, ajoutent-ils. Fin novembre, le ministère de l'Environnement
révélait une autre évaluation : l'action des pollinisateurs représente
un "service écologique rendu" d'une valeur de 2,3 à 5,3 milliards
d'euros par an en France. Or les abeilles et bourdons sont confrontés à
un cocktail de menaces qui, conjuguées, se révèlent mortelles : des
produits phytopharmaceutiques (pesticides, insecticides et fongicides),
des pathogènes (virus, bactéries, champignons) ou encore des prédateurs
(acariens, frelon asiatique)…
Les "nettoyeuses" et les autres
Pour
lutter contre le déclin croissant des colonies, les chercheurs
explorent la piste génétique. Avec le premier séquençage complet du
génome de l'abeille domestique, en 2006, environ 10.000 gènes ont été
identifiés. "Depuis, les chercheurs s'attellent à un long travail
d'annotation et de décryptage de ce code", résume Gilles Salvat,
directeur de la santé animale à l'Anses, l'Agence nationale de sécurité
sanitaire. Première application de ce séquençage : identifier les
différentes souches d'abeilles présentes à l'intérieur d'une colonie
pour caractériser le brassage génétique. "Il s'agit d'éviter la
consanguinité, de garantir une diversité cruciale pour l'équilibre de la
ruche, de comprendre si certaines souches sont invasives au détriment
d'autres." Le séquençage permet également de rechercher dans une
population d'abeilles des marqueurs génétiques associés à un caractère
particulier, comme la résistance à une maladie ou la capacité à produire
de plus grandes quantités de miel.
C'est l'une
des voies suivie par l'unité de recherche Abeilles et environnement à
l'Institut national de recherche agronomique (Inra), à Avignon. Ses
chercheurs ont choisi pour cible un parasite, le Varroa destructor. "Un
acarien présent initialement sur le continent asiatique, qui n'est
apparu que dans les années 1980 en Europe", explique Gilles Salvat. "Il
pompe la lymphe des abeilles et les affaiblit ; il est aussi un vecteur
de virus."
Pourtant, dans certaines colonies, des
abeilles "nettoyeuses" parviennent à éradiquer ces parasites. Comment?
"On sait qu'il y a une communication chimique. Ces nettoyeuses
reconnaissent les alvéoles fermées où une nymphe d'abeille se trouve
piégée avec une maman Varroa et ses petits. Soit elles ouvrent l'alvéole
pour retirer la nymphe et détruire les bébés parasites ; soit elles
l'ouvrent avant que la maman varroa ait pondu, ce qui interrompt son
cycle de reproduction", précise Yves Le Conte, directeur de recherche
dans cette unité spécialisée de l'Inra. Son équipe cherche donc à
identifier des marqueurs génétiques distinguant ces "nettoyeuses" des
autres abeilles. Ce programme, baptisé "Bee Strong" et soutenu par le
laboratoire Labogena et l'Itsap-Institut de l'abeille, a déjà permis de
passer au crible plus de 500 colonies (phénotypage et génotypage) sur un
objectif global de 1.500.
Des colonies résistantes
À
l'issue de cette recherche, l'équipe de l'Inra pourra proposer aux
apiculteurs un outil pour les aider à sélectionner génétiquement des
abeilles résistantes. "Ils nous enverront un bout d'aile de reine ou
quelques abeilles et on déterminera si elles sont porteuses des bons
gènes. C'est une lecture génétique, pas une manipulation", insiste Yves
Le Conte. Grâce aux travaux de la chercheuse Fanny Mondet, l'équipe
voudrait proposer un outil complémentaire : "Elle a identifié cinq
composés volatils, autrement dit des odeurs, spécifiques des alvéoles
contaminées par le Varroa. Il suffira de les pulvériser sur un couvain
et d'observer si les abeilles le nettoient", poursuit Yves Le Conte.
Lui-même
apiculteur depuis quarante ans, il voudrait creuser une autre piste
génétique. Deux ruchers de l'Inra, dans la Sarthe et le Vaucluse,
possèdent en effet des populations d'abeilles qui n'ont reçu aucun
traitement contre les parasites depuis les années 1990. "Ce ne sont
peut-être pas les seules en France! Mais elles survivent. On voudrait
comprendre l'origine de leur résistance pour sélectionner ensuite ces
marqueurs génétiques." Mais ces recherches demandent du temps,
prévient-il. L'urgence reste la réduction de l'emploi de produits
phytosanitaires dans l'agriculture, notamment des néonicotinoïdes, dont
l'équipe de l'Inra a montré l'impact dévastateur sur la capacité
d'orientation des abeilles. Couplés à un pathogène, ils peuvent
entraîner une mortalité de 90% dans une colonie.
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