jeudi 7 janvier 2016

Des fourmis reprogrammées... par épigénétique

Publié le 5/11/2015

 La régulation de certains gènes expliquerait la différence de comportement entre les fourmis filles d'une même reine, les unes formant des unités combattantes et les autres des compagnies d'ouvrières zélées. Des biologistes le démontrent de manière spectaculaire en confortant ou en réprimant, chez ces deux catégories, la motivation à chercher de la nourriture. Ce mécanisme épigénétique pourrait jouer un rôle dans les relations sociales chez les vertébrés, où il est présent, et pourrait être impliqué dans une maladie humaine.


Dans une fourmilière, toutes les ouvrières sont au moins demi-sœurs puisqu’elles sont nées de la même mère et, le plus souvent semble-t-il, d’un père unique. Pourtant, elles peuvent ne pas se ressembler. C’est le cas, par exemple, des femelles des colonies de fourmis charpentières de Floride, Camponotus floridanus. Il en est des grandes, qui forment les bataillons de soldates, et des petites, qui sont des ouvrières. Les premières ont une tête plus grosse, proportionnellement au corps, et des mandibules bien plus fortes. De plus, leurs comportements diffèrent, bien sûr, les unes montent la garde et sont agressives tandis que les autres cherchent de la nourriture et s’occupent des larves

Une équipe de chercheurs de l’université de Pennsylvanie s’est penchée sur leur cas et avait déjà compris que le secret est épigénétique : ouvrières et soldates possèdent les mêmes gènes mais ils ne sont pas tous exprimés de la même manière. Ainsi, chez les premières, les gènes liés au développement du cerveau et aux neurotransmetteurs sont davantage utilisés.
Depuis, les biologistes, emmenés par Shelley Berger, ont repéré ce facteur épigénétique : la modification d’une protéine intervenant dans la lecture d’un gène, en l’occurrence une histone. La découverte n’est pas une surprise car on sait que ces molécules, sur lesquelles vient s’enrouler l’ADN, jouent un rôle dans la lecture des gènes. Ainsi, l’ajout d’un groupe acétyle – l’acétylation – sur une histone peut rendre l’un d’eux plus exposé, donc plus accessible à sa transcription, c’est-à-dire, finalement, à son expression. Des enzymes s’occupent de ce travail, les HAT (histones acétyltransférases), et l’opération inverse est déclenchée par les HDAC (histones désacétylases). Un gène peut ainsi être régulé. 

Les fourmis charpentières de Floride, Camponotus floridanus, forment de grandes colonies. Les femelles sont dédiées à ces tâches spécifiques alors que leurs génomes sont identiques. © bob in swamp, Flickr, CC by-nc-sa 2.0

Le même facteur épigénétique présent chez les humains

Les scientifiques l’ont brillamment démontré en parvenant à modifier le comportement de fourmis en faisant intervenir ces deux enzymes, comme ils le détaillent dans un article de Science. Avec un inhibiteur de HDAC, les soldates se mettent à chercher de la nourriture et, à l’inverse, traitées avec un inhibiteur d’une HAT, les ouvrières délaissent ces activités. Autrement dit, renforcer l’acétylation d’une histone au bon endroit stimule le comportement de type « ouvrière ». Les traitements doivent juste être différents : il suffit d’ajouter la molécule dans la nourriture des ouvrières pour qu’elle ait un effet tandis que chez les soldates il faut injecter l’inhibiteur de HDAC dans le cerveau d’individus très jeunes. 

Le résultat est spectaculaire : un comportement dépendant de la caste a pu être reprogrammé… Il est d’autant plus intéressant que l’enzyme HAT en question, en l’occurrence CBP, est connue aussi chez les vertébrés, mammifères compris, où elle intervient dans l’apprentissage et la mémorisation. Les auteurs en déduisent que ce facteur épigénétique pourrait, chez eux aussi, jouer un rôle dans les comportements sociaux. Alors qu’une mutation de la CBP est impliquée chez l’Homme dans le syndrome de Rubinstein-Taybi, les chercheurs veulent maintenant comprendre à quel moment du développement des fourmis cette acétylation des histones intervient, « ce qui pourrait avoir de profondes implications pour comprendre la vulnérabilité humaine [aux altérations de CBP, NDLR] aux stades précoces de la vie ».




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire