Publié le 1/12/2015
Les écologistes du monde en entier en rêvent, les Cubains l’ont réalisé.
Depuis plus de vingt ans, l’île s’est convertie à l’agriculture
biologique. Elle compte aujourd’hui 400 000 exploitations agricoles
urbaines qui produisent 1,5 millions de tonnes de légumes, sans
pesticides et sans engrais chimiques.
Les écologistes du monde en entier en rêvent, les Cubains l’ont
réalisé. Depuis plus de vingt ans, l’île s’est convertie à l’agriculture
biologique. Elle compte aujourd’hui 400 000 exploitations agricoles
urbaines qui produisent 1,5 millions de tonnes de légumes, sans
pesticides et sans engrais chimiques. Un effet secondaire de l’embargo
états-unien et de l’isolement de Cuba suite à l’effondrement du grand
frère soviétique. Mais une success story quand même : cette
reconversion spontanée et improvisée génère des emplois, protège
l’environnement et améliore la sécurité alimentaire de l’île.
1989. Chute du Mur de Berlin. Deux ans plus tard, effondrement du
bloc soviétique. Cuba perd alors son principal fournisseur de pétrole,
de matériel agricole, d’engrais chimiques et autres pesticides. Avec la
disparition de l’URSS et des anciens pays de l’Est, qui achetaient ses
produits à prix constants, l’île perd aussi des marchés juteux,
notamment celui du sucre, dont elle exportait 85% de sa production. Tous
les ingrédients sont réunis pour que le pays plonge dans le chaos.
D’autant que le blocus américain se resserre. Pour Cuba, c’est le début
d’une nouvelle ère, de cette « période spéciale en temps de paix »
annoncée en 1992 par Fidel Castro et qui durera cinq ans, autrement dit
une période de grave crise économique : le produit intérieur brut (PIB)
chute de 35 %, le commerce extérieur de 75%, le pouvoir d’achat de 50%
et la population souffre de malnutrition.
Nécessité fait loi. Afin de satisfaire ses besoins alimentaires, la population se lance dans la culture de fruits et légumes. « Les Cubains avaient faim, explique Nils Aguilar, réalisateur du film Cultures en transition. Ce sont eux qui ont fait les premiers pas en occupant les terres dans un mouvement spontané. »
Des milliers de jardins, « organoponicos », fleurissent sur des petits
lopins de terre, sur les terrasses, entre les maisons, sur d’anciennes
décharges, au milieu des terrains vagues, bref dans le moindre
interstice laissé vacant. Outre la culture, on y pratique souvent
l’élevage de petits animaux : poules, lapins, canards, cochons. « Les principaux acteurs du mouvement agro-écologique, ce sont les paysans eux-mêmes,
affirme Dorian Felix, agronome, spécialisé dans l’agroécologie
tropicale, en mission à Cuba pour l’association Terre et Humanisme. Ils
ont expérimenté ces pratiques, les ont validées et diffusées. Leur
mobilisation et celle de la société civile tout entière a été, et reste,
très importante. »
Le boom de l’agriculture urbaine
Dans la foulée, le gouvernement entame une transition forcée.
Produire de la nourriture devient une question de sécurité nationale. A
partir des années 1990, l’accent est mis sur la production locale, à
partir de ressources locales, pour la consommation locale. L’État
distribue des terrains à qui veut les cultiver et développe une
agriculture vivrière et biologique de proximité : sans pétrole pour
faire fonctionner les tracteurs, on recourt à la traction animale ; sans
engrais chimiques ni pesticides, on redécouvre le compost, les
insecticides naturels et la lutte biologique.
« C’est une véritable révolution verte, confirme Nils Aguilar. Dans
ce pays, tout le monde est impliqué, j’ai eu la surprise d’entendre un
chauffeur de taxi me vanter les prouesses de l’agroécologie ! Cuba
développe une agriculture post-industrielle et prouve que ces techniques
peuvent nourrir les populations. » Aujourd’hui, la main-d’œuvre
agricole a été multipliée par dix. D’anciens militaires, fonctionnaires
et employés se sont convertis ou reconvertis à l’agriculture, car nombre
d’entre eux avaient été paysans auparavant. Chaque école cultive son
potager, les administrations ont leur propre jardin, fournissant les
légumes aux cantines des employés.
Phénomène sans précédent, l’agriculture urbaine s’est développée
comme nulle part ailleurs dans le monde. L’île compte près de 400 000
exploitations agricoles urbaines, qui couvrent quelque 70 000 hectares
de terres jusqu’alors inutilisées et produisent plus de 1,5 millions de
tonnes de légumes. La Havane est à même de fournir 50% de fruits et
légumes bios à ses 2 200 000 habitants, le reste étant assuré par les
coopératives de la périphérie.
Révolution verte dans les Caraïbes
En 1994, les fermes d’État productivistes sont progressivement
transformées en coopératives pour fournir en aliments les hôpitaux,
écoles, jardins d’enfants. Quant au reliquat de la production, il est
vendu librement sur les marchés. Universitaires, chercheurs, agronomes
sont mis à contribution pour diffuser les techniques de l’agroécologie.
Un réseau de boutiques vend semences et outils de jardinage à bas prix,
prodiguant également aux clients des conseils d’experts. Et dans toutes
les villes du pays, on enseigne l’agriculture biologique par la
pratique, sur le terrain. Bien plus qu’un simple transfert de
connaissances technologiques, il s’agit de « produire en apprenant, d’enseigner en produisant et d’apprendre en enseignant ».
L’impact de cette révolution verte est multiple : réduction de la
contamination des sols, de l’air et de l’eau, recyclage des déchets,
augmentation de la biodiversité, diversification des productions,
amélioration de la sécurité alimentaire, du niveau de vie et de la
santé, création d’emplois – notamment pour les femmes, les jeunes et les
retraités. C’est aussi une politique moins centralisée qui s’est mise
en place, donnant davantage de marge de manœuvre aux initiatives
individuelles et collectives autogérées. Le mot d’ordre dominant : « Décentraliser sans perdre le contrôle, centraliser sans tuer l’initiative. »
Dans les villes, ce principe a permis de promouvoir la production dans
le quartier, par le quartier, pour le quartier, en encourageant la
participation de milliers de personnes désireuses de rejoindre
l’initiative.
Vers l’autonomie alimentaire
Aujourd’hui, Cuba produit pour sa consommation plus de 70% de fruits
et légumes, ce qui ne lui garantit pas une totale autonomie alimentaire,
dans la mesure où elle dépend encore des importations de riz et de
viande, notamment. Mais, selon les critères de l’ONU, « le pays a un indice de développement humain élevé et une faible empreinte écologique sur la planète ».
Si demain les importations de nourriture devaient s’arrêter, les
habitants seraient beaucoup moins en péril que ceux d’un pays comme la
France, qui dispose seulement de quelques jours de réserves dans ses
supermarchés (d’après le Ceser – Conseil économique, social et
environnemental Ile-de-France -, la région dispose de quatre jours de
réserves alimentaires).
Il aura fallu une crise pour que Cuba découvre les vertus de
l’agroécologie, de la permaculture, de l’agroforesterie ou encore du
sylvopastoralisme. L’île a-t-elle réussi pour autant sa transition
énergétique ? En partie seulement. La consommation de pétrole a
redémarré en 1993 grâce à (ou à cause de ?) la production nationale et à
l’aide du Venezuela qui lui fournit près de 110 000 barils de pétrole
par jour. Mais on peut parier que le pays ne pourra plus faire machine
arrière. Car au-delà de la révolution agricole, les initiatives
individuelles et collectives ont prouvé que les Cubains pouvaient
prendre en main leur destin. Une véritable révolution culturelle !
Frédérique Basset
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