samedi 7 mai 2016

L'agriculture climato-intelligente, nouveau défi de la recherche scientifique

Les chercheurs chinois du Beijing Genomics Institute ont lancé une armée de séquenceurs à l'assaut de la formule génétique d'un million de plantes. - Photo Imaginechina/AFP
 

L'explosion démographique et le réchauffement climatique pèsent sur les ressources et posent un défi à la recherche agronomique : concilier intensivité et écologie pour produire plus sans épuiser les sols.


Le constat serre le ventre : en un siècle, un milliard d'hectares de terres fertiles a été dégradé sous l'action de l'activité humaine, soit autant que depuis les débuts des civilisations agricoles. Et d'ici à 2050, la productivité des principales cultures céréalières mondiales (blé, riz, maïs) sera impactée par la hausse des températures dans les régions tropicales et tempérées. Le manque d'eau, l'irrégularité des pluies, l'accroissement de l'évapotranspiration dans tous les écosystèmes, créeront de nouvelles contraintes de production. Les changements climatiques auront aussi un impact sur la répartition géographique des cultures, des espèces envahissantes, des ravageurs et des vecteurs de maladies. Les terres arables seront également agressées par le régime de lessivage et l'accélération de l'érosion. Bref : « A ce rythme, nous manquerons sans doute de blé avant de manquer de pétrole », craint le microbiologiste Claude Bourguignon, qui examine depuis 1989 la composition physique, chimique et organique de plusieurs milliers de terres cultivées sur la planète dans son Laboratoire d'analyses microbiologiques des sols. Ses conclusions sont tranchées : non seulement le désert et l'érosion gagnent, mais partout les équilibres s'effondrent, l'activité biologique recule et les sols meurent. Au total, 2,5 millions de kilomètres carrés de terres fertiles pourraient disparaître d'ici à 2050. « Nous sommes en train de détruire le futur de notre assiette », craint le chercheur.

Les scientifiques ont un nom pour qualifier l'agriculture climato-intelligente nécessaire à la lutte contre cette désertification : l'intensification durable (« sustainable intensification »). L'Inra y consacre désormais le tiers de ses effectifs et de son budget et prévoit en dix ans de passer maître dans ce registre en se dotant d'outils stratégiques d'analyse et d'observation. Plus de 200 chercheurs et ingénieurs sont déjà affectés à ces dispositifs d'expérimentation destinés à mieux comprendre les échanges de flux dans les écosystèmes et les interactions entre les systèmes agricoles et environnementaux. L'établissement participe globalement à 158 programmes européens dans ces domaines et pilote notamment le projet d'infrastructure scientifique Anaee d'un coût proche de 210 millions d'euros pour consolider et développer les réseaux européens existants d'analyse et de modélisation scientifique des écosystèmes. « Cet outil permettra à plus de 2000 chercheurs en Europe de bénéficier d'une mutualisation inédite de ressources », précise son coordinateur Abad Chabbi. 

Génétique : l'accélération

 

Ces moyens ne seront pas de trop pour rétablir le cycle normal de la matière organique dans les sols. En cultivant des groupes d'espèces complémentaires, les chercheurs espèrent parvenir à créer des usines naturelles de production d'azote. Des essais marient, par exemple, des légumineuses et des céréales pour mettre au travail des bactéries spécifiques qui recombinent les glucides des plantes en molécules riches en azote indispensable à la photosynthèse. Avec ces stratégies de régulation écologique, on pourra sans doute lutter avec la même efficacité contre les parasites nuisibles.
Ces travaux fondamentaux s'accompagnent de recherches génétiques pour adapter rapidement les espèces en déclenchant à volonté des gènes impliqués dans certains processus. « C'est l'enjeu majeur des prochaines décennies », estime l'agronome et économiste Michel Griffon. A ce jour, une vingtaine de plantes - dont deux tiers sont cultivables - ont été séquencées, et seulement les plus simples comme la tomate, le soja, le colza, le riz ou le maïs. Les chercheurs chinois du Beijing Genomics Institute ont mis un coup d'accélérateur à ce défi en lançant une armée de séquenceurs à l'assaut de la formule génétique d'un million de plantes d'ici à 2020. Une fois cet alphabet connu, ils devront encore comprendre la grammaire du langage végétal et ses interactions avec l'environnement. 

Le temps presse : d'ici à 2050, malgré le réchauffement climatique, il faudra avoir doublé le rendement du blé tendre qui constitue la nourriture de base pour plus d'un tiers de la population mondiale. A peine le temps de tester huit générations de nouvelles variétés, selon les méthodes de sélection généalogique héritées de l'école Vilmorin.

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