Depuis leur apparition sur Terre il y a des centaines de
millions d'années, les plantes collaborent avec les champignons pour
vivre. Elles les nourrissent, ils les nourrissent. C'est donnant
donnant. Mais jusqu'ici, toutes les techniques agricoles ont été
développées sans en tenir compte.
Ça se passe dans toutes les forêts et dans tous les champs du
monde. Presque toutes les plantes actuelles sont liées aux champignons.
Le phénomène pourrait nous permettre de faire une agriculture plus
durable, moins polluante et à moindre coût. Une nouvelle révolution
verte à venir?
Le lieu d'échange entre le champignon et la plante s'appelle
mycorhize. « Myco » pour champignon et « rhize » pour racine. Ce
phénomène peut prendre plusieurs formes.
Dans les forêts boréales, par exemple, les ectomycorhizes
dominent. Il s'agit d'un champignon qui forme un manchon autour des
fines racines des arbres et des plantes, et qui se glisse entre les
cellules végétales. C'est là qu'il offre à la plante les minéraux qu'il a
puisés dans le sol, dans le bois mort et même dans la pierre. En
échange, la plante lui fournit les sucres qu'elle a fabriqués avec la
photosynthèse. La plupart des champignons comestibles récoltés dans les
bois sont de ce type.
Dans les champs, la relation est encore plus intime : le
champignon entre dans la cellule et s'y ramifie. C'est la mycorhize
arbusculaire. Ces champignons sont pratiquement invisibles à l'oeil nu
et ne sortent pas de terre. Ce sont de grands spécialistes du
transport : leurs cellules se sont soudées et n'ont même pas de parois
transversales. Elles forment de longs filaments, véritables tuyaux où
les nutriments circulent en continu.
Si les plantes collaborent avec les champignons, c'est qu'ils
sont plus efficaces qu'elles pour explorer le sol. Leurs filaments sont
plus fins, leur structure plus simple, ce qui leur permet de pousser en
dépensant bien moins d'énergie. Mais surtout, ils sont de bien meilleurs
digesteurs. Ils sécrètent des acides leur permettant de se nourrir de
bois mort et même de dissoudre les éléments minéraux de la pierre.
Pour ce faire, les champignons sont aidés par des bactéries qui
recouvrent leurs filaments. Ces dernières sont encore plus efficaces que
les champignons dans la solubilisation des minéraux. Les bactéries
tirent bien sûr profit, elles aussi, de ces échanges. Le champignon est
leur véhicule de transport et leur donne accès aux sucres de la
photosynthèse. C'est donc un ménage à trois, plante-champignon-bactérie,
chacun partageant ses repas avec les autres.
Un phénomène sous-utilisé en agriculture
Comme ces phénomènes étaient ignorés, les champs ont toujours
été fertilisés en nourrissant directement la plante. Ça oblige à rendre
les minéraux solubles, à faire nous-mêmes le travail des bactéries et
des champignons. Mais c'est un procédé industriel lourd et polluant. Le
phosphore minéral, par exemple, doit être traité à l'acide sulfurique.
Pire : une fois dans le sol, la plus grande partie du phosphore soluble
redevient minéral. Sans compter que tout ce phosphore ajouté aux champs
nuit aux champignons mycorhiziens. Comme ils ne sont plus utiles, ils ne
se développent plus. La fertilisation actuelle des champs est donc un
grand gaspillage polluant, puisqu'une partie de ce phosphore se retrouve
dans les cours d'eau.
Les mycorhizes pourraient même faire diminuer sensiblement la
quantité de pesticides utilisés en agriculture. De nombreuses études ont
en effet montré que les champignons mycorhiziens protègent les plantes
contre leurs ennemis (souvent des champignons eux aussi!).
Quelques entreprises, dont Premier Tech à Rivière-du-Loup,
offrent aux agriculteurs des champignons à ajouter au semis, et même des
semences déjà enrobées de spores. Les résultats sont prometteurs
(rendement 10 % supérieur, protection accrue contre les maladies), mais
tout reste encore à faire.
On commence à peine à faire des essais en champ en offrant aux
plantes à la fois le minéral non traité, les champignons mycorhiziens et
les bactéries qui leur sont associées. Il faudrait même revoir la
sélection génétique des plantes, puisque les variétés actuelles ont été
choisies en fonction de leur capacité à absorber la nourriture qu'on
leur donne. Autrement dit, on les a nourris à la petite cuillère; on
pourrait presque dire qu'elles ont oublié comment collaborer avec
les champignons.
Émission des 23 et 24 janvier 2016Cette semaine, une émission spéciale entièrement consacrée aux mycorhizes.Ce mariage sous-terrain entre champignons et plantes est un phénomène fondamental et universel dans l'évolution. Mieux les comprendre pourrait aider nos forêts et notre agriculture.Et c'est justement en agriculture que les mycorhizes pourraient avoir le plus grand impact. Certains parlent même d'une révolution. Les cultures mycorhizées ont déjà fait leur apparition un peu partout au Canada.Autant dans les Prairies de l'Ouest, comme au Québec, les résultats sont encourageants.
Posté par La semaine verte sur mercredi 20 janvier 2016
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