Les
émissions de gaz à effet de serre liées au secteur agricole sont dans
le collimateur des gouvernements. Un nouveau concept émerge :
« l’agriculture climato-intelligente », en vue de produire plus et
mieux… Dans les arènes des négociations sur le climat, les
multinationales sont dans les starting-blocks pour promouvoir des
« engrais intelligents » et des plantes génétiquement modifiées
tolérantes à la sécheresse.
Alors que l’agro-industrie est en passe de remporter la bataille sur l’agro-écologie, des chercheurs et des ONG tentent de renverser la donne. Enquête.
Alors que l’agro-industrie est en passe de remporter la bataille sur l’agro-écologie, des chercheurs et des ONG tentent de renverser la donne. Enquête.
Près d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre seraient imputables à l’agriculture.
Un chiffre inquiétant... et dérangeant. Car il englobe tous les
systèmes de production, de l’agriculture « conventionnelle » à
l’agriculture biologique, de l’élevage hors-sol à l’élevage pastoral,
des monocultures industrielles aux petites fermes en
polyculture-élevage. Alors que la responsabilité des agriculteurs dans
le réchauffement climatique se retrouve pointée du doigt, des acteurs
agro-industriels tirent profit de ces amalgames pour reverdir leur
image.
C’est le cas de Yara International, une entreprise norvégienne leader
des engrais de synthèse, qui a vendu plus de 26 millions de tonnes
d’engrais dans 150 pays l’an passé.
Le groupe se lance dans l’« intensification durable » ! L’idée ?
Accroître le recours aux engrais chimiques augmenterait les rendements,
et permettrait ainsi d’utiliser moins de terres agricoles et d’éviter
les émissions liées à l’expansion des cultures sur les forêts. Ce
raisonnement n’a pas convaincu l’ONG agricole Grain, qui, dans un
nouveau rapport, souligne que les fabricants d’engrais figurent « parmi les principaux ennemis du climat au niveau mondial ».
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC) estime que pour 100 kilos d’engrais azoté appliqué sur les sols,
un kilo se retrouve dans l’atmosphère sous forme d’oxyde nitreux (N2O),
un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2 ! « Leurs
produits pourraient être responsables de près de 10 % des émissions
mondiales de gaz à effet de serre (GES), sans parler des dommages
entraînés pour les cours d’eau, les sols et la couche d’ozone », ajoute l’ONG. Un décalage entre pratiques et discours qui vaut à Yara une nomination au Prix Pinocchio du climat 2015.
Agriculture climato-intelligente : un concept dangereux
La FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture, n’est pas de cet avis : elle considère l’intensification
durable comme une solution « intelligente » pour faire face aux
changements climatiques. En dépit des critiques formulées par les ONG,
Yara fait partie des multinationales qui ont récemment rejoint
l’Alliance mondiale pour l’agriculture climato-intelligente (Gacsa), qui regroupe
des pays, des ONG de conservation environementale, des universités et
des centres de recherche. Le concept d’« agriculture
climato-intelligente » – climate smart agriculture, en anglais –
repose sur trois piliers. Il s’agit d’abord, explique la FAO,
d’augmenter la productivité agricole pour faire face à l’augmentation de
la population mondiale, et « d’adapter les systèmes agricoles »
face aux événements climatiques extrêmes amenés à se multiplier, tels
que les inondations ou les sécheresses. Troisième pilier, la mise en
œuvre des pratiques agricoles qui « atténuent » les émissions de gaz à effet de serre.
Basta ! s’est plongé dans le guide des initiatives « climato-intelligentes ». Au menu des remèdes miracles, le colza tolérant aux herbicides, qui permettrait d’utiliser « moins de produits chimiques de moins en moins toxiques », ou bien encore le maïs tolérant à la sécheresse, qui augmenterait les rendements « de 20 à 30 % » – ce que conteste par ailleurs l’association Inf’Ogm. En septembre 2015, une centaine d’organisations ont signé un appel qui reproche au Gacsa de ne pas préciser les critères qui permettraient de définir ce qui peut, ou pas, être qualifié de « réponse intelligente » au changement climatique. « Il
n’y a aucun travail sur la définition des critères de l’agriculture
climato-intelligente, car définir reviendrait à exclure des pratiques
agricoles », souligne Jeanne-Maureen Jorand du CCFD-Terre solidaire. Or, sans norme ou critères d’exclusion, ce concept est tout simplement dangereux. »
Développer l’agriculture industrielle au nom de la lutte climatique
« La définition de l’agriculture climato-intelligente était une ligne rouge pour le gouvernement français »,
relate Jeanne-Maureen Jorand. Lors du lancement du Gacsa, Annick
Girardin, secrétaire d’État au Développement et à la Francophonie, avait
ainsi mis en garde sur les risques de certaines pratiques, comme les
OGM ou le recours aux agrocarburants : « Il nous faut veiller à ne
pas tout cautionner au nom de la lutte contre le dérèglement climatique,
et à bien nous assurer que les solutions que nous mettrons en place ne
créent pas plus de problèmes qu’elles n’en résolvent », déclarait-elle
en septembre 2014. Le gouvernement français a finalement décidé de
s’engager dans le Gacsa aux côtés de vingt et un autres pays, expliquant
auprès de l’AFP vouloir « être dedans plutôt que dehors pour avoir une influence ».
Source: http://www.bastamag.net/Comment-les-multinationales-se-servent-du-changement-climatique-pour-definir
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