Publié le 6/08/2015
par Pierre Barthélémy
Deux abeilles, une ouvrière et une reine. © Christofer Bang.
C'est une information qui prend une résonance
curieuse à l'heure où certains groupes de pression, principalement aux
Etats-Unis mais aussi désormais en France, veulent remettre en cause la
vaccination obligatoire des enfants : les abeilles, elles aussi,
vaccinent leurs petits et une étude internationale parue le 31 juillet dans la revue PLOS Pathogens vient enfin de découvrir comment elles s'y prennent.
Pendant longtemps on a pensé que les insectes ne
pouvaient compléter en cours d'existence l'arsenal de défense de leur
système immunitaire. Qu'ils devaient en quelque sorte faire toute leur
vie avec "le kit de base" immunitaire dont ils étaient pourvus à la
naissance. Les chercheurs se sont récemment aperçus que ce n'était pas
le cas et, depuis quelques années, les preuves s'accumulent pour
affirmer qu'une réponse immunitaire acquise, une réponse adaptable,
existe et que les parents peuvent la transmettre à leurs enfants à un
stade très précoce de leur développement. En 2014, une équipe
autrichienne travaillant sur les abeilles a ainsi montré qu'exposer des
reines (qui engendrent tous les individus d'une colonie) aux spores de
la bactérie responsable de la loque américaine, conférait à leur
progéniture une meilleure résistance à cette maladie.
Encore fallait-il comprendre comment. Ainsi que l'explique Gro Amdam (université de l'Arizona), co-auteur de l'étude publiée par PLOS Pathogens, "le
procédé par lequel les abeilles immunisent leurs petits était un grand
mystère jusqu'à présent. Ce que nous avons trouvé, c'est que c'est
simple comme manger." Avec ses collègues, cette biologiste
norvégienne est en effet partie de l'idée que la seule manière pour une
reine – qui consacre tout son temps à pondre des œufs – d'être mise en
présence de bactéries passe par la nourriture qu'elle ingurgite. A
savoir la gelée royale, hautement nutritive, sécrétée par les nourrices à
partir du pollen récolté à l'extérieur. Certes les agents pathogènes
sont détruits dans le système digestif de la reine, mais pas
complètement. Des débris de la paroi cellulaire des bactéries
subsistent. Or, ce sont précisément les structures moléculaires
présentes à la surface de cette paroi qui permettent de déclencher la
réponse immunitaire contre les agresseurs. On avait donc bien, comme
dans un vaccin, un pathogène atténué. Restait à découvrir le vecteur du
vaccin, la manière dont les reines se débrouillaient pour transférer cet
antigène depuis leur système digestif jusque dans leurs œufs.
La réponse était dans ce que les entomologistes
nomment le corps gras, cet équivalent de notre foie chez les insectes.
C'est là que la reine produit le vitellus, cette réserve nutritive que
va exploiter l'embryon pour se développer dans son œuf (le vitellus le
plus connu est le jaune d'œuf fabriqué par les poules). On y retrouve
notamment une protéine très importante, la vitellogénine. Gro Amdam et
ses collègues ont découvert que les parois de différents types de
bactéries s'accrochaient à la vitellogénine, qui pouvait donc les
transporter en passagers clandestins jusque dans les œufs. Les
chercheurs ont ensuite vérifié que cette exposition à des débris de
bactéries était suffisante pour induire une réponse immunitaire chez les
individus. La vaccination – involontaire – des petites abeilles par
leur mère avait bien eu lieu.
Au-delà de la mise en lumière d'un mécanisme
particulièrement subtil – voire fascinant pour qui s'émerveille des
ressources qu'exploite le vivant –, ce travail pourrait avoir
d'intéressantes retombées. L'étude précise que la maîtrise de ces
mécanismes de transfert d'immunité "peut avoir une importance économique considérable"
quand on mesure à la fois les immenses services que les insectes
pollinisateurs comme les abeilles fournissent gratuitement à l'humanité
et le déclin mondial des colonies d'abeilles constaté ces dernières
décennies, déclin dû à l'utilisation intensive de pesticides par
l'agriculture mais aussi à certains pathogènes. Puisque le point de
départ de cette transmission immunitaire est la nourriture, les auteurs
de l'étude imaginent donc un vaccin comestible à placer non loin des
ruches, afin d'aider ces insectes à se prémunir contre des maladies face
auxquelles ils n'ont pas de bonne défense. Un communiqué de l'université de l'Arizona
pour laquelle travaille Gro Amdam signale qu'un tel vaccin, destiné à
lutter contre la loque américaine, est en cours de brevetage. La
chercheuse norvégienne souligne au passage que la découverte "a été
rendue possible parce que nous avons fait pendant quinze ans de la
recherche fondamentale sur la vitellogénine. C'est un bon exemple pour
montrer comment des investissements à long terme dans la recherche
fondamentale finissent par payer." Un message qu'entendront peut-être les décideurs qui exigent des chercheurs des résultats toujours plus rapides...
Source: http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2015/08/06/comment-les-abeilles-vaccinent-leurs-petits/
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