L’usage massif des néonicotinoïdes par les agriculteurs décime la faune du sol, de l’air et des eaux.
Jeudi, la revue Nature a
remis le couvert contre les néonicotinoïdes, cette classe
d’insecticides agricoles utilisés depuis une vingtaine d’années.
L’article, signé par Francisco Sanchez-Bayo, de la faculté d’agriculture
et d’environnement de l’université de Sydney, met en perspective
plusieurs études parues depuis deux ans. Parmi lesquelles une énorme
«méta analyse» conduite par une «task force» mondiale, publiée l’été
dernier (1). Il se termine sur une conclusion exprimée en termes très
prudents. «Bien que ces problèmes continuent d’être soumis à des
investigations, les connaissances actuelles conduisent à reconsidérer
les traitements préventifs actuels des semences avec des
néonicotinoïdes», écrit-il. Sauf que «reconsidérer»
signifie ici envisager moratoires, restrictions d’usage ou bannissement
définitif de ces insecticides. Si les mots sont doux, la décision
suggérée est dure.
Cette nouvelle classe d’insecticides débute avec la découverte de l’imidaclopride et sa mise sur le marché en 1991. Au début, reconnaît Jean-Marc Bonmatin, du Centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans et membre de la task force, ces nouveaux produits affichaient des «qualités» et semblaient «une bonne idée». Très efficaces, ils s’utilisent à très faibles doses en remplaçant les insecticides antérieurs et sans épandages dispersant les molécules toxiques dans l’atmosphère. Les néonicotinoïdes se présentent en effet souvent sous la forme d’un enrobage pour les semences. Lorsque ces dernières germent, les molécules toxiques sont captées par les racines, puis circulent dans la plante avec la sève. Du coup, quand des ravageurs l’attaquent, ils meurent de leur repas. Ainsi, affirmaient les industriels, seuls ces derniers seront ciblés, bien que la molécule soit toxique pour le système nerveux central de tous les insectes, nuisibles comme utiles à l’agriculture (les «auxiliaires») ou pour la faune sauvage. Le principe semblait bon, voire «judicieux», selon Bonmatin. Il s’est révélé désastreux.
Loin de l’argument initial, «5% seulement des molécules toxiques de l’enrobage des semences pénètre dans la plante. Tout le reste, soluble dans l’eau puisqu’il doit circuler avec la sève, contamine le sol, puis les eaux de surface, et enfin les eaux souterraines», explique le biochimiste. L’efficacité de ces insecticides et l’illusion de leur innocuité pour l’environnement ont conduit à d’autres usages que les grandes cultures. Ils sont utilisés dans les vergers ou pour les légumes. Les jardiniers amateurs s’en servent. Les chiens et les chats sont protégés des puces avec eux. Et jusqu’aux charpentes de bois.
Selon de très nombreuses études, ces produits sont en effet jugés responsables, au moins en partie, d’un effondrement des populations d’insectes utiles ou non pour l’agriculture. Ils contribuent clairement aux problèmes des abeilles à miel, ont démontré des études de l’Inra d’Avignon. «Mais également des bourdons et des autres pollinisateurs sauvages et des invertébrés du sol comme les vers de terre», précise Bonmatin. L’effet provient directement de l’ingestion ou du contact de quantités infinitésimales des molécules neurotoxiques, via le butinage du pollen et du nectar en ce qui concerne les pollinisateurs. Une étude (2) a montré que 17% à 65% des nectars des champs de cultures traitées sont contaminés, démentant sur ce point les affirmations originelles des industriels lors des mises sur le marché.
A ces effets directs s’en ajoutent, de proche en proche dans la chaîne alimentaire, d’autres, indirects mais massifs. Une étude récente (3) dévoile que si les populations d’oiseaux communs insectivores des Pays-Bas ont diminué de près d’un quart depuis que ces insecticides sont utilisés, c’est à cause d’eux. La contamination des eaux déclenche l’effondrement des microfaunes des rivières, puis celui de leurs prédateurs comme les batraciens. Selon Bonmatin, l’effet indirect, via la destruction des ressources alimentaires sous forme d’insectes dont le système nerveux central est visé par les néonicotinoïdes, ne fait guère de doutes. Mais il pourrait s’y ajouter un effet direct, car si ces molécules sont beaucoup moins toxiques pour les autres animaux, tels les oiseaux et les mammifères, les effets à long terme pourraient les affecter directement. Une observation qui pose la question de la santé humaine, puisqu’on trouve les métabolites des néonicotinoïdes dans nos aliments et jusque dans nos urines.
Paradoxe : ce massacre se retourne contre les productions agricoles. C’est évident pour les plantes à fleurs ou les arbres fruitiers, qui dépendent de la pollinisation. Une étude récente sur 54 cultures majeures en France (4) de 1989 à 2010 montre que les rendements de celles qui dépendent de la pollinisation ont décru avec l’usage des néonicotinoïdes, ce qui n’est pas le cas des autres. Il est difficile d’avancer une autre causalité pour cette corrélation qu’un effet négatif de ces produits.
Ces résultats de recherche, nombreux et convergents, ne peuvent plus être ignorés des pouvoirs publics. Ils plaident a minima pour des restrictions d’usage, l’abandon des traitements systématique et des traitements curatifs ciblés, réservés aux cas extrêmes d’attaques de ravageurs. Ils mettent en cause les procédures d’évaluation des risques des nouveaux produits pour lesquels une expertise indépendante des industriels doit être mobilisée. Et surtout la conjonction redoutable entre l’appétit financier des firmes productrices de produits phytosanitaires, un système économique qui contraint les agriculteurs à industrialiser toujours plus leur activité au mépris de la biodiversité et des pouvoirs politiques qui remplacent depuis cinquante ans le travail humain par des produits chimiques.
(1) Van Der Sluijs et al., Environmental science and Pollution Research, août 2014. (2) F. Sanchez-Bayo et Goka, Plos One du 9 avril 2014. (3) Caspar Hallmann et al, Nature du 10 juillet 2014. (4) Nicolas Deguines et al., Frontiers in Ecology and the Environment, mai 2014.
Source: http://www.liberation.fr/sciences/2014/11/13/insecticides-le-grand-massacre_1142314
Santé publique
Dure, car les néonicotinoïdes représentent aujourd’hui 40% des ventes d’insecticides, et leur chiffre d’affaires annuel se monte à 2,63 milliards de dollars (2,11 milliards d’euros) à l’échelle mondiale. Dure aussi en raison des arguments avancés par les scientifiques. Ils estiment avoir assez d’éléments pour conclure que les affirmations des industriels sur l’innocuité de leurs produits pour les espèces non ciblées étaient fausses. Et plus encore. D’une part que les conséquences néfastes des néonicotinoïdes, directes et indirectes, sur les faunes du sol des eaux et du ciel, sont majeures. Qu’il y a d’autre part des soupçons rationnels quant à la santé publique si leur usage se poursuit. Et enfin que leur utilisation systématique est inutile, voire dangereuse à long terme, pour l’agriculture.Cette nouvelle classe d’insecticides débute avec la découverte de l’imidaclopride et sa mise sur le marché en 1991. Au début, reconnaît Jean-Marc Bonmatin, du Centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans et membre de la task force, ces nouveaux produits affichaient des «qualités» et semblaient «une bonne idée». Très efficaces, ils s’utilisent à très faibles doses en remplaçant les insecticides antérieurs et sans épandages dispersant les molécules toxiques dans l’atmosphère. Les néonicotinoïdes se présentent en effet souvent sous la forme d’un enrobage pour les semences. Lorsque ces dernières germent, les molécules toxiques sont captées par les racines, puis circulent dans la plante avec la sève. Du coup, quand des ravageurs l’attaquent, ils meurent de leur repas. Ainsi, affirmaient les industriels, seuls ces derniers seront ciblés, bien que la molécule soit toxique pour le système nerveux central de tous les insectes, nuisibles comme utiles à l’agriculture (les «auxiliaires») ou pour la faune sauvage. Le principe semblait bon, voire «judicieux», selon Bonmatin. Il s’est révélé désastreux.
Loin de l’argument initial, «5% seulement des molécules toxiques de l’enrobage des semences pénètre dans la plante. Tout le reste, soluble dans l’eau puisqu’il doit circuler avec la sève, contamine le sol, puis les eaux de surface, et enfin les eaux souterraines», explique le biochimiste. L’efficacité de ces insecticides et l’illusion de leur innocuité pour l’environnement ont conduit à d’autres usages que les grandes cultures. Ils sont utilisés dans les vergers ou pour les légumes. Les jardiniers amateurs s’en servent. Les chiens et les chats sont protégés des puces avec eux. Et jusqu’aux charpentes de bois.
Système nerveux central
C’est là que les qualités de l’insecticide - efficacité phénoménale, jusqu’à 8 000 fois plus toxique que le DDT à poids égal pour les abeilles, et persistance (une demi-vie de six à neuf mois) - se transforment en catastrophe, provoquant un massacre général des insectes du sol et des invertébrés des rivières.Selon de très nombreuses études, ces produits sont en effet jugés responsables, au moins en partie, d’un effondrement des populations d’insectes utiles ou non pour l’agriculture. Ils contribuent clairement aux problèmes des abeilles à miel, ont démontré des études de l’Inra d’Avignon. «Mais également des bourdons et des autres pollinisateurs sauvages et des invertébrés du sol comme les vers de terre», précise Bonmatin. L’effet provient directement de l’ingestion ou du contact de quantités infinitésimales des molécules neurotoxiques, via le butinage du pollen et du nectar en ce qui concerne les pollinisateurs. Une étude (2) a montré que 17% à 65% des nectars des champs de cultures traitées sont contaminés, démentant sur ce point les affirmations originelles des industriels lors des mises sur le marché.
A ces effets directs s’en ajoutent, de proche en proche dans la chaîne alimentaire, d’autres, indirects mais massifs. Une étude récente (3) dévoile que si les populations d’oiseaux communs insectivores des Pays-Bas ont diminué de près d’un quart depuis que ces insecticides sont utilisés, c’est à cause d’eux. La contamination des eaux déclenche l’effondrement des microfaunes des rivières, puis celui de leurs prédateurs comme les batraciens. Selon Bonmatin, l’effet indirect, via la destruction des ressources alimentaires sous forme d’insectes dont le système nerveux central est visé par les néonicotinoïdes, ne fait guère de doutes. Mais il pourrait s’y ajouter un effet direct, car si ces molécules sont beaucoup moins toxiques pour les autres animaux, tels les oiseaux et les mammifères, les effets à long terme pourraient les affecter directement. Une observation qui pose la question de la santé humaine, puisqu’on trouve les métabolites des néonicotinoïdes dans nos aliments et jusque dans nos urines.
Paradoxe : ce massacre se retourne contre les productions agricoles. C’est évident pour les plantes à fleurs ou les arbres fruitiers, qui dépendent de la pollinisation. Une étude récente sur 54 cultures majeures en France (4) de 1989 à 2010 montre que les rendements de celles qui dépendent de la pollinisation ont décru avec l’usage des néonicotinoïdes, ce qui n’est pas le cas des autres. Il est difficile d’avancer une autre causalité pour cette corrélation qu’un effet négatif de ces produits.
Une expertise indépendante
D’autres conséquences néfastes surgissent. La destruction massive de la microfaune des sols agricoles (lombrics) dégrade leurs qualités agronomiques. De sorte qu’un recours accru aux fertilisants compense cette stérilisation. Pourtant, note Bonmatin, l’Italie montre que le bannissement de ces insecticides pour le maïs ne produit pas l’effondrement des rendements redouté.Ces résultats de recherche, nombreux et convergents, ne peuvent plus être ignorés des pouvoirs publics. Ils plaident a minima pour des restrictions d’usage, l’abandon des traitements systématique et des traitements curatifs ciblés, réservés aux cas extrêmes d’attaques de ravageurs. Ils mettent en cause les procédures d’évaluation des risques des nouveaux produits pour lesquels une expertise indépendante des industriels doit être mobilisée. Et surtout la conjonction redoutable entre l’appétit financier des firmes productrices de produits phytosanitaires, un système économique qui contraint les agriculteurs à industrialiser toujours plus leur activité au mépris de la biodiversité et des pouvoirs politiques qui remplacent depuis cinquante ans le travail humain par des produits chimiques.
(1) Van Der Sluijs et al., Environmental science and Pollution Research, août 2014. (2) F. Sanchez-Bayo et Goka, Plos One du 9 avril 2014. (3) Caspar Hallmann et al, Nature du 10 juillet 2014. (4) Nicolas Deguines et al., Frontiers in Ecology and the Environment, mai 2014.
Source: http://www.liberation.fr/sciences/2014/11/13/insecticides-le-grand-massacre_1142314
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