jeudi 15 décembre 2016

Au-delà de l'organisme : l'holobionte

Le concept d'organisme montre aujourd'hui ses limites : il faut désormais prendre en compte le fait qu'un animal ou une plante ne peut vivre sans les multiples microorganismes qui l'habitent.

 n 1931, l'université du Kentucky entama l'amélioration de fétuques (des graminées) pour enrichir les pâtures de l'ouest américain. Après sélection des individus les plus performants, la variété Kentucky 31 fut commercialisée en 1943. Largement semée, la plante forma bientôt des prairies denses. Hélas, les bovins montrèrent bientôt d'étranges symptômes. Chute de la queue et des sabots, comportements de stress et activité nocturne, production de lait et de viande réduite de 30 %, avortements plus fréquents… Kentucky 31 est aujourd'hui une peste envahissante, qui coûte cher à l'agriculture.

D'où provenaient ces nuisances ? On découvrit, un peu tard, le responsable : un champignon du genre Neotyphodium, qui vit dans la plante et produit des alcaloïdes. Certains sont toxiques pour les insectes, d'autres pour les mammifères. Un vasoconstricteur, l'ergovaline, explique la gangrène des extrémités des bovins ; l'acide lysergique (un stupéfiant dont dérive le lsd) altère le comportement. Ce champignon est cependant invisible, car il ne sort jamais de la plante ; il en colonise tous les tissus, et en particulier les graines. Il se reproduit donc en se propageant à la descendance. On avait involontairement sélectionné des champignons toxiques, parce qu'ils amélioraient la croissance, mais sans se rendre compte qu'ils tuaient les herbivores.


Ainsi, les propriétés des grands organismes résultent parfois de microorganismes qui les habitent. L'apport est parfois décisif : si l'on prive Kentucky 31 de champignon par un traitement antifongique, la plante, rendue comestible, est attaquée par les herbivores et ne s'installe pas durablement dans la nature. C'est le consortium plante-champignon qui est concurrentiel.

Une coexistence cruciale

 

Les plantes et les animaux sont habités de microbes qui façonnent leurs traits : cela a conduit au concept d'holobionte (du grec holo, tout, et bios, vie), qui désigne l'unité biologique composée de l'hôte (plante ou animal) et de tous ses microorganismes. De plus en plus de biologistes substituent ce concept à la vision d'organismes isolés, car tous sont accompagnés. Comment se mettent en place les holobiontes ? En quoi cela modifie-t-il l'hôte ? Nous allons voir que la coexistence au sein de l'holobionte détermine l'évolution des partenaires.

L'holobionte cumule les propriétés de l'organisme hébergeur et de ses passagers, dont il assemble tous les génomes. Cela a conduit à la notion d'hologénome, qui étend le génome de l'organisme en lui adjoignant ceux de ses microbes.

En fait, l'holobionte est un peu comme un train très fréquenté : d'abord, il est très peuplé, car chaque organisme abrite de nombreux microbes. Ensuite, certains passagers sont des abonnés, d'autres le prennent juste une fois. En effet certains microbes, comme Neotyphodium, sont héritables, passagers de toujours qui persistent de génération en génération sans quitter l'hôte. Loin d'être les plus fréquents, ils sont souvent étroitement intégrés dans les fonctions de l'holobionte, si bien qu'on les a parfois repérés tardivement, comme chez Kentucky 31.

Microbes hérités ou passagers

 

Un autre exemple est fourni par la respiration. À l'échelle cellulaire, ce processus est assuré par les mitochondries, des organites qui produisent l'énergie dont a besoin la cellule. Or la mitochondrie s'est révélée être une bactérie qui vit depuis des lustres dans nos cellules. Les premiers observateurs l'avaient supposé parce que les mitochondries se divisent en deux, comme des bactéries...


                                                         Pour la Science

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