Frank Niedercorn / Journaliste |
Le changement climatique concerne déjà les vignerons, qui vont devoir s'adapter, par exemple en changeant de cépages. Faute de quoi leur vin risque de ne plus trouver d'amateurs.
A quoi 
ressemblera le vignoble français et européen à l'horizon 2050 ? Il y a 
deux ans, dans un article retentissant, des scientifiques américains 
avaient alarmé les professionnels du vin. Ils démontraient que, d'ici à 
cette date, en raison du changement climatique, les surfaces adaptées à 
la culture de la vigne allaient fondre comme neige au soleil, reculant 
de 25 % à 75 % dans les neuf grandes régions de production mondiales. 
Piqués au vif, leurs homologues européens, et notamment français, 
critiquèrent  « une vision alarmiste » et des erreurs méthodologiques.  « Nos confrères oubliaient surtout que la viticulture a toujours eu l'habitude de s'adapter », résume Nathalie Ollat, ingénieur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Bordeaux. 
S'adapter :
 c'est l'enjeu du projet Laccave (« long term impact and adaptation to 
climate change in viticulture and oenology »), qui regroupe 
23 laboratoires et équipes de différentes disciplines. L'une d'elles, 
associée à France Agrimer et à l'Inao (Institut national de l'origine et
 de la qualité), s'est lancée dans un exercice de prospective, 
envisageant quatre scénarios à l'horizon 2050.  « Cette période est 
charnière. On sait que, d'ici là, la température moyenne devrait 
augmenter de 1 à 2 degrés. Au-delà, nous pouvons aller vers une 
stabilisation si nous réduisons très vite nos émissions de gaz à effet 
de serre. Sinon l'augmentation des températures continuera », résume Jean-Marc Touzard, spécialiste de l'économie de l'innovation à l'Inra de Montpellier. 
Si
 ces scientifiques n'ont pas encore terminé leurs travaux, ils ont déjà 
posé leurs hypothèses. Le premier scénario est celui de l'inaction. 
Avec, à l'arrivée, une possible multiplication des maladies, des vignes 
souffrant du manque d'eau, une dramatique baisse des rendements et une 
forte évolution de la qualité.  « Ce scénario nous semble toutefois peu probable, justement parce que le monde la viticulture a toujours su s'adapter », note Jean-Marc Touzard. 
Des vignobles « nomades » ?
Un
 autre scénario, lui aussi très radical, envisage une libéralisation 
totale du secteur de la viticulture mondiale qui se rapprocherait  « un peu du marché de la bière ».
 Un monde du « tout est permis », dans lequel les appellations d'origine
 auraient volé en éclats, le marketing primerait et de grands opérateurs
 s'approvisionneraient en raisins en fonction de leurs besoins. 
Encore
 plus iconoclaste, le troisième scénario imagine des vignobles 
« nomades » : les terroirs existeraient, mais ils auraient une durée de 
vie temporaire - quelques dizaines d'années -, le temps de profiter d'un
 climat et de conditions favorables. 
Les 
scientifiques du projet Laccave privilégient un dernier scénario : en 
2050, les grands vignobles seront toujours là, mais se sont adaptés 
grâce à l'innovation. Car les moyens de se préparer existent, et les 
vignerons utilisent déjà des parades.  « Il y a quelques années, on 
effeuillait la vigne pour la faire profiter du soleil. Aujourd'hui, on 
fait plutôt l'inverse, en cherchant à la protéger », explique Stéphane Toutoundji, oenologue conseil et cofondateur du cabinet OEno Team. 
Il faudra aller plus loin, par exemple en exploitant à fond la connaissance de chaque terroir.  « Sur
 une appellation, et même sur une propriété, les différences moyennes de
 température peuvent aller jusqu'à 1 ou 2 degrés. Cela correspond à la 
variation due au changement climatique », explique Hervé Quénol, du
 laboratoire de climatologie de l'université de Rennes. Dans le cadre du
 projet européen Adviclim, plusieurs vignobles (Navarre, Roumanie, Rhin,
 Val de Loire, Saint-Emilion) ont ainsi été parsemés de réseaux de 
capteurs de température, afin de diagnostiquer à une échelle très fine 
les évolutions climatiques. 
Plutôt que l'irrigation, vue comme une solution  « ultime »,
 la solution pourrait venir de la génétique, avec de nouvelles variétés 
mûrissant plus lentement, plus résistantes à la chaleur et aux maladies.
  « En parallèle, le principal enjeu est de faire diminuer les traitements phytosanitaires »,
 insiste Nathalie Ollat. On peut également faire confiance à des cépages
 déjà existants, mieux adaptés à un climat qui se réchauffe. Ce sera 
compliqué en Bourgogne, où l'on ne cultive que le pinot noir. Moins en 
Languedoc-Roussillon et surtout à Bordeaux, où l'assemblage de 
différents cépages est une pratique aussi ancienne que le vignoble. 
A
 travers le projet Vitadapt, l'Inra étudie ainsi 52 cépages différents 
plantés sur une seule et même parcelle. Une première mondiale. Les 
résultats sont prometteurs et permettraient de trouver une alternative 
au plus célèbre cépage bordelais : le merlot, qui occupe plus de 60 % du
 vignoble, est réputé pour ses arômes fruités, mais aussi pour sa 
capacité à mûrir de façon précoce. Un sérieux handicap pour les années à
 venir. La solution pourrait être locale, avec par exemple le petit 
verdot, un cépage régional peu utilisé, prédit Kees Van Leeuwen, 
professeur de viticulture à l'université de Bordeaux, qui supervise le 
projet Vitadapt :  « Il combine les qualités gustatives du cabernet sauvignon et du merlot tout en arrivant plus tard à maturité. » Même chose pour les blancs avec le cépage colombard, qui pourrait fournir une alternative au sauvignon blanc. 
Et
 ensuite ? Au-delà de 2040, la région de Bordeaux pourrait alors faire 
les yeux doux à l'un des multiples cépages portugais, estime les 
scientifiques. Le pays offre en effet un climat océanique similaire, 
mais plus chaud de quelques degrés. Autour de 2050, le touriga nacional 
pourrait, par exemple, avoir remplacé le merlot sur nombre de parcelles.
 A cette époque, la carte de la viticulture française aura 
considérablement évolué, prédit Jean-Marc Touzard :  « Les grands 
vignobles seront toujours là, mais on verra des initiatives locales se 
multiplier. Je ne serais pas étonné de voir des vignes en Bretagne, dans
 le Nord ou en altitude. Et pourquoi pas en ville. » Même chose au 
niveau mondial. Des vignobles apparaîtront dans les régions du Nord. 
Certains prédisent même que l'actuel vignoble anglais deviendrait un 
paradis du vin effervescent.
Source: http://www.lesechos.fr/journal20150915/lec1_idees_et_debats/021314307667-comment-le-climat-va-changer-la-vigne-1155568.php

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