jeudi 2 juin 2016

Les insectes ont une conscience, d’après une récente étude

Jusqu’à présent, il semblait peu probable, scientifiquement parlant, que les insectes possèdent la capacité à ressentir la douleur1.

Une étude de l’Université de Californie, intitulée Ce que les insectes ont à nous révéler sur les origines de la conscience, soutient aujourd’hui l’idée qu’ils seraient capables d’expérience subjective. C’est très différent de la douleur, mais c’est une capacité qu’on ne soupçonnait pas forcément chez eux2.

JoyauQu’est-ce que l’expérience subjective ?

 

Avoir des expériences subjectives, également appelées qualia en psychologie, c’est expérimenter des perceptions extérieures, issues du monde qui nous entoure, par le prisme de son individualité.
Cette subjectivité est basée sur le point de vue de l’individu et elle est influencée par ses intérêts particuliers, ses expériences passées… tout ce qui fait sa singularité, sa différence avec son voisin.
Pour expliquer cela, le très célèbre Erwin Schrödinger a dit :

La sensation de la couleur ne peut être rendue par la description objective, par le physicien, des longueurs d’ondes. Est-ce que le physicien pourrait comprendre cette sensation comme il se doit, s’il avait une parfait connaissance de ce qui se passe dans la rétine, et des processus à l’oeuvre dans le nerf optique et dans le cerveau ? Je ne le pense pas.
La douleur est un exemple classique d’expérience subjective humaine. Mais ce n’est pas le seul. La couleur, on l’a vu, en est un autre. Toute sensation visuelle, spatiale, sensorielle peut en être une. Et certaines de ces expériences sensorielles subjectives auraient donc cours dans le monde des insectes.
Pour reprendre l’exemple de Schrödinger, imaginons une fleur rouge : deux robots l’appréhenderaient de la même façon exactement. Mais si vous et moi la regardons ensemble, nous ne verrons pas tout à fait la même fleur rouge. L’étude californienne nous dit que deux insectes en approche n’auront pas non plus exactement le même ressenti face à cette fleur rouge.

Un même acte perceptif peut être vécu de différentes façons selon l’individu concerné3.

L’expérience subjective est la forme la plus basique que revêt la conscience — c’est déjà de la conscience.

 

AgrionQue dit précisément l’étude ?

 

Cette étude, intitulée Ce que les insectes ont à nous révéler sur les origines de la conscience, a été publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences. Elle a été menée par Andrew Barron, un chercheur en sciences cognitives à l’Université de Macquarie, et par le philosophe Colin Klein2.

Comment, pourquoi et quand la conscience a évolué demeure un sujet ardemment débattu. S’intéresser à cette problématique nécessite de considérer la répartition de la conscience à travers l’arbre phylogénétique animal.

Dans cette étude, nous suggérons qu’au moins un clade [groupe] d’invertébrés, les insectes, fait preuve de l’aspect le plus basique de la conscience : l’expérience subjective.

Chez les vertébrés, la capacité de l’expérience subjective est rendue possible par des structures anatomiques intégrées dans le cerveau moyen [région du tronc cérébral reliée au cerveau], qui créent une simulation neurale [en rapport avec le système nerveux] de la position de l’animal qui se déplace dans l’espace.


Cette représentation du monde intégrée et égocentrique, depuis la perspective de l’animal, est suffisante pour parler d’expérience subjective.

Les structures dans le cerveau des insectes produisent des fonctions analogues. Nous avançons donc que le cerveau des insectes est aussi capable d’expérience subjective.


Lueur-de-vieChez les vertébrés comme chez les insectes, ce type de système de contrôle comportemental a évolué jusqu’à devenir une solution efficace aux problèmes basiques de réafférence [retour d’information] sensorielle et de déplacements effectifs dans l’espace. Les structures cérébrales qui permettent l’expérience subjective chez les vertébrés et chez les insectes sont très différentes l’une de l’autre, mais dans les deux cas il y a une base commune à chaque groupe. Ce qui nous amène à proposer qu’on peut remonter aux origines de l’expérience subjective en allant jusqu’au Cambrien [période de temps qui a vu l’apparition des insectes sur terre].

Pas de conscience chez la carotte

 

Pour les auteurs de l’étude, Barron and Klein, les plantes n’ont aucune structure qui permettent une quelconque forme basique de conscience. La même chose est vraie pour des organisme animaux très simples comme les méduses ou certains vers non segmentés. Par contre, les crustacés et les araignées, comme les insectes, possèdent ces structures, liées au ganglion central, qui leur permettent de traiter les informations sensorielles, de choisir des objectifs, diriger leurs actions… et d’éprouver des expériences subjectives.

La conclusion de Peter Singer

 

Dans un article publié sur le site Project Syndicate en réaction à cette étude, le philosophe Peter Singer, l’un des fondateurs des mouvements modernes de droits des animaux, commente ainsi la nouvelle4 :

Si les insectes ont des expériences subjectives, alors il y a de par le monde beaucoup plus de conscience que ce que nous aurions cru. En effet il y a, selon une estimation de la Smithsonian Institution, environ dix quintillions (10 000 000 000 000 000 000) d’individus insectes en vie à chaque instant5. (…)

Cela ne signifie pas que nous devons lancer une campagne pour les droits des insectes. Nous n’en savons pas encore assez sur l’expérience subjective des insectes pour faire cela ; et dans tous les cas le monde est bien loin d’être prêt à accepter une campagne comme celle-là sans se moquer. Nous devons au préalable établir plus solidement la considération portée aux animaux vertébrés, chez qui la capacité à souffrir ne fait plus l’ombre d’un doute.


Précisions :
  1. Article des Cahiers Antispécistes basé sur l’étude de Queensland [↩]
  2. Abstract de l’étude californienne [↩] [↩]
  3. Définition de subjectivité [↩]
  4. Article de Peter Singer sur le sujet [↩]
  5. Nombre d’insectes vivants [↩]







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