lundi 19 décembre 2016

Les stratégies de recherche agronomique révélées par l’analyse des publications

                       
                                                           Photo : © Inra

Grâce à l’analyse sémantique des publications, on voit se dessiner et évoluer les stratégies scientifiques des deux plus grands organismes de recherche agronomique : l’Inra en France et l’USDA aux Etats-Unis. Convergences et divergences s’expliquent par l’historique et le fonctionnement des deux institutions.

Si la bibliométrie est depuis longtemps un outil de veille des tendances scientifiques, les outils sémantiques permettent, par leur puissance d’analyse, d’obtenir de plus en plus d’informations stratégiques. L’étude comparée des publications de l’Institut national de recherche agronomique (Inra) et de son équivalent américain, l’USDA, que nous venons de mener, reflète l’histoire des deux plus grands organismes de recherche agronomique au monde.

Cette étude repose sur les 230 000 publications que ces deux organismes ont éditées au cours des quarante dernières années. À partir de ces publications, le logiciel CORTEX, une technologie élaborée à l’Inra France, fait ressortir les termes en fonction de leur fréquence et du nombre de leur co-citations. Les ensembles de mots ainsi obtenus, ou « amas», représentent les grandes thématiques étudiées. La visualisation des amas sous forme de nuages de très haute résolution permet de comparer finement les priorités de recherche des deux organismes.

Quand l’analyse se fonde sur 1 000 mots (le maximum autorisé par le logiciel), on remarque que plus de 90% d’entre eux sont identiques entre l’Inra et l’USDA. Par ailleurs, ces mots se répartissent en onze amas thématiques analogues. Plusieurs d’entre eux sont fondés sur des sémantiques similaires. Il en est ainsi de la génétique et de la génomique animales et végétales mais également de la nutrition humaine et animale et finalement de l’étude des ravageurs des plantes.


Toutefois, des différences apparaissent à l’intérieur d’amas analogues : par exemple, l’amas « pathogens and diseases » (pathogènes et maladies) regroupe des mots liés à la santé des animaux et à la sécurité sanitaire des produits agroalimentaires à l’USDA tandis que cet amas contient des mots liés à la santé des plantes à l’Inra. De même l’amas lié à la technologie agroalimentaire est fortement thématisé à l’INRA autour du vin, du lait et du fromage tandis qu’à l’USDA les termes qui apparaissent sont beaucoup plus génériques.

Une manière de tester la robustesse d’une thématique consiste alors à faire varier la fréquence que l’on fixe comme seuil pour sélectionner les mots : en effet, si l’on retient les 200 mots les plus fréquents, on aura moins d’amas que si on retient les 1000 mots les plus fréquents. Seuls les amas les plus « robustes » se maintiendront. Des différences de robustesse apparaissent alors entre l’Inra et l’USDA. Ainsi, pour la thématique de l’eau, l’amas « water stress » (stress hydrique) est robuste pour l’Inra. Il regroupe un ensemble de mots liés à l’étude de la relation de la plante avec l’eau. Pour l’USDA, c’est l’amas « ground water » – c’est-à-dire l’étude des ruissellements, drainages, infiltrations, réserves d’eau, barrages, etc. – qui est robuste, alors que cette sous-thématique n’apparaît jamais à l’Inra.

Enfin, une analyse de l’évolution des amas au cours des 40 dernières années est très révélatrice. Un exemple : à l’Inra, la thématique « bovins » se répartit dans les années 1980 en deux amas « viande » et « lait, génétique ». En 1990, ces deux amas éclatent en 6 amas liés à la spécialisation disciplinaire (génétique, génomique fonctionnelle, microbiologie etc.) et, en 2000, apparait un amas « prairies et environnement », tandis que la génomique et la production fromagère recule. Aux Etats-Unis, comme en France, la priorité est donnée à la production dans les années 1980. Cependant, la problématique pâturage apparaît très tôt, comme une préoccupation propre aux Etats-Unis qui en manque. Dans les années 1990, apparaissent des termes liés à la sécurité sanitaire des produits, tandis que l’on voit un rapprochement entre les thématiques pâturages et sécheresse.

Deux raisons expliquent pourquoi les travaux sur le labour et le non-labour sont récurrents à l’USDA : la limitation de la quantité de fourrage produite d’une part et la forte érosion éolienne des sols d’autre part. En revanche, à l’Inra, les travaux sur le non-labour (agriculture de conservation) ont une ampleur bien plus réduite à l’exception des toutes dernières années où l’impact positif de cette pratique sur les changements globaux est mieux considéré.  

En fait ces convergences et divergences sont significatives de l’histoire des deux organismes. L’USDA s’intéresse à des questions très finalisées (labour, gestion locale de l’eau, etc.) et s’appuie sur les connaissances fondamentales développées par les universités américaines. Au contraire, l’Inra qui a longtemps eu le monopole de la recherche agronomique en France, a dû organiser des communautés de recherche pour développer des approches disciplinaires de recherche fondamentale (génétique, physiologie, pathologie, etc.). Cette différence de mission se reflète aussi dans la gouvernance des deux organismes : l’USDA est placé sous la seule tutelle du ministère de l’agriculture américain, tandis que l’Inra est placé sous la double tutelle des ministères en charge de l’agriculture et de la recherche. La manière de travailler diffère également. Tandis que l’USDA travaille à des solutions locales en prise avec les acteurs de proximité et la ou les université(s) compétente(s), l’Inra traite les sujets dans ses centres régionaux les plus compétents, même si le problème finalisé à résoudre provient d’une autre région de France. On peut ainsi brosser à grands traits les portraits de chaque organisme : l’USDA, à vocation plutôt finalisée et autonome localement et l’Inra, à vocation finalisée et fondamentale, inscrite dans une politique de recherche nationale, avec des programmes intégrés sur le long terme.

Guy Riba, Jean-Philippe Cointet et Emmanuel Pietrega, chercheurs à l'Inra

Source 

                                                

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