dimanche 9 octobre 2016

Le biocontrôle revisité par l’Académie d’Agriculture

Pierre angulaire du projet d’agro-écologie, le biocontrôle devrait permettre à terme une diminution de l’usage des pesticides de synthèse. Mais quels sont sa réalité, ses atouts, ses faiblesses, et surtout, ses perspectives ? Quatorze « sages » de l’Académie d’Agriculture de France tentent de répondre à ces questions dans un rapport intitulé « Biocontrôle en Protection des Cultures ». La lecture de ce texte engendre des impressions contrastées.
Comme le note l’Académie, le terme même de biocontrôle couvre plusieurs définitions. Aux États-Unis, les « biopesticides » comprennent trois catégories de moyens : microbial pesticides (ex : les protéines insecticides de B. thuringiensis), biochemical pesticides (ex : les phéromones) et plant-incorporated protectant (PIP). Ce dernier groupe rassemble les substances que les plantes fabriquent à partir de leur matériel génétique, y compris celui introduit dans leur génome, concernant de ce fait le domaine de l’amélioration des plantes. En revanche, en Europe, le terme de biocontrôle a été décliné en quatre catégories de moyens : les macro-organismes (ex : insectes auxiliaires), les micro-organismes (ex : bactérie Bacillus thuringiensis), les médiateurs chimiques (ex : phéromones) et les substances naturelles extraites de plantes ou produites par des micro-organismes.


En France, le Club Adalia, qui rassemble des techniciens de la protection intégrée, définit le biocontrôle de façon plus large. Pour lui, il s’agit de « l’ensemble des méthodes de protection des végétaux qui utilisent des mécanismes naturels. Il vise à la protection des plantes en privilégiant l’utilisation de mécanismes et d’interactions qui régissent les relations entre espèces dans le milieu naturel. » L’Association française des fabricants de produits de biocontrôle (IBMA) rejoint assez largement cette définition. Elle y ajoute cependant « tous produits et technologies nouveaux à faible risque ». Enfin, pour les auteurs de la Loi d’avenir, le biocontrôle inclut les substances minérales, mais exclut la sélection variétale. Ce qui revient à revisiter le passé en le proposant comme modèle au monde agricole. Triste perspective...

Selon l’Académie, le champ du biocontrôle devrait regrouper l’ensemble des méthodes de protection des cultures ayant en commun le fait d’utiliser la capacité régulatrice d’agents vivants. C’est-à-dire la plante cultivée elle-même, les éléments de régulation présents dans le milieu agricole local et l’usage d’agents vivants ou issus du vivant volontairement introduits.

Il s’agit donc d’utiliser une stratégie de protection des cultures reposant sur la mise en œuvre successive de trois postes d’action indissociables.
Le premier consiste à privilégier l’activité des êtres vivants qui existent dans l’agroécosystème (ex : auxiliaires généralistes, oiseaux insectivores...), en les encourageant au besoin par des aménagements environnementaux. Le deuxième réside dans le choix des cultures et des variétés qui minimisent la pression des organismes nuisibles attendus dans le contexte de culture local. Et le dernier consiste à mettre en œuvre des agents de lutte vivants (macro-organismes, micro-organismes, organismes pour la lutte autocide) ou issus du vivant (médiateurs chimiques, éliciteurs et substances naturelles).
Cette priorité accordée aux moyens de protection vivants ou issus du vivant conduit à exclure du champ du biocontrôle les substances minérales (cuivre, soufre, chaux, acides minéraux...), les produits de synthèse ou les moyens physiques de régulation des organismes nuisibles (labour, sarclage, taille, brûlage...). Ces différents moyens restent parfaitement utilisables dans un système de protection intégrée. Bien que pouvant être un sujet de controverse, l’Académie assume pleinement ce parti pris.

État des lieux et perspectives

« Pour l’instant, la place du biocontrôle dans la protection des plantes reste encore modeste », souligne l’Académie. On utilise principalement des macro-organismes performants contre les acariens phytophages de la vigne et la pyrale du maïs, des insectes auxiliaires pour lutter contre des ravageurs invasifs en plein air ou les ravageurs des cultures sous abris (aleurodes, thrips, acariens...). Que ce soit le célèbre Bacillus thuringiensis, observé depuis 1901, ou encore différents champignons pathogènes d’insectes ou antagonistes de maladies des plantes, connus également depuis plus d’un siècle, toutes ces solutions n’occupent toujours qu’une place marginale sur le marché.
En revanche, l’emploi de médiateurs chimiques tels que les phéromones d’insectes fait partie des quelques belles réussites. Comble de l’ironie, celles qui sont largement utilisées pour la viticulture ou l’arboriculture, conventionnelle comme biologique, sont
toutes obtenues...par synthèse, sans que quiconque n’ait émis de réserve à leur sujet.
« Il serait utile de réhabiliter dans différents domaines une balance bénéfices-risques transparente », estiment les sages de l’Académie d’Agriculture.
Mais c’est à peu près tout. Pour de très grands problèmes comme le mildiou, l’oïdium, la flavescence de la vigne, le taupin, la chrysomèle et la fusariose, ou encore les nombreux ravageurs aériens du colza, le biocontrôle n’apporte aucune protection efficace. Pas plus d’ailleurs que pour le contrôle des adventices.
Le futur succès du biocontrôle passe donc nécessairement par la recherche, qui demeure un exercice très délicat en raison de la durée inhabituellement longue des études et d’un énorme pourcentage de déchets entre des solutions apparemment prometteuses au laboratoire, et celles qui se révèlent convaincantes dans la pratique agricole. L’exemple des substances élicitrices en est l’illustration la plus parfaite. Si une longue liste de substances extraites de plantes a montré en serre une certaine capacité à stimuler les défenses naturelles de végétaux cultivés, aucune ou presque n’a confirmé cette possibilité au champ. Aujourd’hui, les seuls éliciteurs qui concurrencent les fongicides pour protéger des cultures sont... des substances de synthèse : fosétyl-Al ou acibenzolar-S-méthyl ! Le paradoxe étant qu’en raison de cette « tare originelle », ces composés sont radicalement écartés des mesures incitatives promues par les autorités en faveur du biocontrôle.
Enfin, le rapport de l’Académie met en garde contre les inconvénients du biocontrôle, notamment les phénomènes de résistance connus suite à l’emploi exclusif ou trop intensif du pyrèthre ou des mêmes souches de Bt ou de baculovirus, entraînant un effondrement de leur efficacité sur les par- celles concernées. « L’introduction irréfléchie de certains insectes présentés comme des auxiliaires a même été un véritable échec », poursuivent les auteurs. Ils rappellent qu’« en raison de dommages imprévus occasionnés sur des espèces vivantes non-cibles, certains d’entre eux ont vu leur statut évoluer abruptement vers la catégorie ”nuisibles” »

Et les agriculteurs dans tout ça ?

Les pratiques agricoles d’une large partie des exploitants devraient pouvoir intégrer sans difficulté les méthodes de biocontrôle telles qu’elles sont définies par l’Académie d’Agriculture. Notamment l’aménagement paysager (bandes enherbées composites, haies, bords de rivière entretenus...), qui est déjà largement entré dans les mœurs. Optimiser la régulation du parasitisme par leur intermédiaire sera donc facile à promouvoir à chaque fois que la recherche sera capable de pointer les variantes les plus favorables de ces aménagements.
En outre, le développement du biocontrôle est clairement dynamisé par une recherche créative stimulée par de nombreux nouveaux acteurs et par les récents investissements des grands leaders de l’industrie. Il existe également un relatif consensus sur le bénéfice environnemental global de ces solutions, qui n’exclut pas la nécessaire vérification des caractéristiques supposées favorables.
Dans son rapport, l’Académie a pointé une enquête d’opinion montrant qu’il existe un courant globalement favorable aux solutions issues du biocontrôle dans l’ensemble du monde agricole. Cette dynamique positive est néanmoins contrebalancée par deux éléments : d’une part, les réserves exprimées par des utilisateurs qui recherchent les preuves de la valeur de ces solutions avant de les introduire dans leur système de culture (il faut dire que dans ce domaine, les surpromesses ont été légion ces dernières années ! ) ; et d’autre part, les interrogations des agriculteurs concernant les coûts ou les surcoûts correspondants.

Sortir de l’enfumage pour avancer plus vite

En conclusion de leur étude, les académiciens n’estiment guère possible de progresser sans passer, ad minima, par trois étapes incontournables. La première serait l’affirmation du caractère indispensable de la protection des cultures. Dans ce domaine, le négationnisme ou la minimisation systématique des pertes liées aux bioagresseurs sous des prétextes divers sont autant de freins au progrès. La deuxième étape est un plaidoyer en faveur d’un retour à des bases objectives de l’évaluation des dangers pour l’ensemble de la pharmacopée. Une approche cohérente de la protection des cultures ne peut reposer sur le discours manichéen qui laisse accroire que les produits de synthèse sont plus dangereux que les solutions dites naturelles. Une approche plus transparente de ces questions et une politique publique davantage appuyée sur des bases scientifiques seraient les bienvenues. En troisième lieu, à une époque où certains produits de biocontrôle bénéficient de grands efforts administratifs pour privilégier leur utilisation, le rapport souligne qu’« il serait utile de réhabiliter dans différents domaines une balance bénéfices-risques transparente, accessible à la fois aux filières, aux scientifiques, aux industriels, aux citoyens et aux médias en recherche d’information authentique ». Vaste programme... Mais l’agriculture française a-t-elle vraiment le choix ?


                                                            agriculture et environnement

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