mercredi 12 octobre 2016

Comment les plantes reconnaissent-elles le haut du bas ?

Pour orienter leur croissance les plantes envoient certaines protéines sur une seule face de la cellule sans cibler les autres faces. Une équipe du laboratoire de Biogenèse membranaire révèle que les cellules exploitent la composition singulière en lipides d’un compartiment intracellulaire, constituant une véritable « gare de triage », pour diriger de manière ciblée certaines protéines vers un domaine de la surface cellulaire. Cette étude est publiée dans la revue Nature Communications.

Contrairement aux animaux, les plantes ne peuvent s’échapper de leur environnement et ont développé de ce fait une plasticité d’adaptation considérable. Elles doivent constamment chercher la meilleure exposition à la lumière ou, dans le sol, les nutriments et l’eau nécessaires à leur survie. Cette capacité des plantes à réorienter leur croissance vers la ressource convoitée est connue sous le terme de « tropisme ». Il existe différents types de tropisme, comme, par exemple, celui permettant aux tournesols de se tourner vers la lumière, au liseron de s’enrouler autour d’un support ou encore aux racines de s’enfoncer verticalement dans le sol. Ce dernier tropisme permettant l’enracinement de la plante est appelé gravitropisme. Comment les plantes arrivent-elles à prendre la bonne direction ? En fait, les tropismes sont en très grande partie dépendants de l’établissement de différences de concentration d’auxine, une hormone végétale, au sein des tissus végétaux. Ces différences de concentration régulent la croissance des cellules composant le tissu, permettant à l’organe considéré de se courber de façon adéquate. Les différences de concentration d’auxine sont créées grâce à l’activité de certaines protéines transporteuses d’auxine, qui se localisent sur la membrane d’une seule face des cellules de l’organe cible, permettant de diriger l’hormone dans une seule direction. Il n’est cependant pas bien compris comment les cellules arrivent à établir la localisation de ces transporteurs uniquement sur une face particulière de la cellule. 

 L’équipe de Yohann Boutté au laboratoire de biogenèse membranaire à Bordeaux, en collaboration avec des chercheurs Suédois (Umeå Plant Science Centre) et Américains (University  of California, Riverside), a mis en évidence la composition en lipides singulière d’une structure membranaire dérivée de l’appareil de Golgi et qui représente une gare de triage majeure dans les cellules eucaryotes. Certains lipides qui la composent, possèdent une chaîne carbonée particulièrement longue et les chercheurs ont mis en évidence qu’ils jouent un rôle d’aiguilleur dans le tri et le bon adressage des transporteurs d’auxine vers la face de la cellule où ils doivent normalement se concentrer. Les chercheurs sont parvenus expérimentalement à raccourcir de manière spécifique la chaine carbonée de ces lipides. Ceci entraine non seulement une perturbation de l’adressage des transporteurs d’auxine vers leur endroit de prédilection, mais également une perte de la capacité des plantes à s’orienter en fonction de la gravité. 

Ces travaux révèlent que les lipides, éléments de base des membranes, jouent un rôle prépondérant dans l’acquisition de l’hétérogénéité de distribution des composants cellulaires. Le grand succès évolutif des cellules eucaryotes est d’avoir différencié des compartiments membranaires qui se sont spécialisés dans telle ou telle fonction cellulaire et ont permis l’apparition d’organismes multicellulaires complexes. Les lipides ont longtemps été considérés comme des briques inertes dans ce processus alors que nous commençons seulement à appréhender leur nature de matériaux « intelligents » qui confèrent des propriétés fonctionnelles particulières aux membranes biologiques et jouent un rôle déterminant dans la genèse de ces compartiments spécialisés.  

Figure : Les cellules végétales sont capables d’envoyer certaines protéines sur une seule face de la cellule, comme ici à la face supérieure (dite apicale) de la cellule. La mise en place de cette directionnalité est encore une énigme. Cette étude montre que le compartiment intracellulaire (en rouge) dérivé de l’appareil de Golgi (en blanc) est enrichi en lipides ayant une chaine carbonée très longue (en rouge sur la représentation de la molécule de lipide). Ces lipides agissent en aiguilleur pour trier et adresser des protéines vers un pôle particulier de la cellule.
© Yohann Boutté






En savoir plus

Enrichment of hydroxylated C24- and C26-acyl-chain sphingolipids mediates PIN2 apical sorting attrans-Golgi network subdomains Valérie Wattelet-Boyer, Lysiane Brocard, Kristoffer Jonsson, Nicolas Esnay, Jérôme Joubès, Frédéric Domergue, Sébastien Mongrand, Natasha Raikhel, Rishikesh P. Bhalerao, Patrick MoreauYohann Boutté
Nature Communications. 7. Article number:12788 doi:10.1038/ncomms12788   
 Contact chercheur
  • Yohann Boutté
    Laboratoire de Biogenèse membranaire
    CNRS UMR 5200-Université Bordeaux Segalen
    Bâtiment A3
    INRA Bordeaux Aquitaine
    71 Avenue Edouard Bourlaux CS20032

    33140 Villenave d'Ornon 

                                                                CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique

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